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L’Aubrac de Léonie. L’imaginaire de la carte

Cantal - Lozère.

Sinon dans les fantaisies de Borges*, la carte n’est pas le territoire, mais un modèle simplifié permettant de le représenter, comme un portrait ou une description. Mais avant tout cela, la carte est histoire de rencontres. Entre le cartographe et son sujet d’abord, puis avec le lecteur auquel il livre son interprétation. Avec Léonie Schlosser, l’art de la carte s’éloigne de la science pour épouser les contours sensibles de l’Aubrac, et c’est un nouveau territoire qui émerge, «à la taille du doigt», sur lequel se pencher et simplement se dire «je suis là». Une carte à vivre, une carte en céramique.

L’Aubrac de Léonie. L’imaginaire de la carte
Photo Almérinda Gillet

Quand on fait un magazine de pays, on établit déjà une certaine cartographie, humaine, historique ou gastronomique, du territoire auquel on se consacre. Mais plus concrètement, on lui adjoint des cartes, ou au moins une carte, élément plus que décoratif qui permet d’appréhender le terrain, de s’y déplacer par anticipation, de s’y repérer.

Dans le premier numéro de Terres d’Aubrac, nous avions demandé à Hélène Fuggetta, cartographe et illustratrice, de réaliser la carte du plateau. Puis, dans les trois numéros suivants, nous nous sommes contentés d’une carte “maison” : elle faisait “le job” comme on dit, mais manquait de relief. Car la cartographie ne s’improvise pas.

C’est ainsi qu’en 2016 nous avons fait appel à Léonie Schlosser, cartographe, illustratrice et journaliste, comme elle le précise, ses nombreuses années de collaboration à Géo Magazine lui ayant valu ce statut, au même titre qu’un rédacteur ou qu’un photographe de presse. Léonie a réalisé des centaines de cartes pour Géo, mais également pour Terre Sauvage, Bretagne Magazine, Alpes Magazine, Le Télégramme, Femme Actuelle, Pèlerin, Larousse, etc. et maîtrise aussi bien les techniques de l’aquarelle ou du fusain que celles offertes par la PAO (Production Assistée par Ordinateur).

En 2017, pour Terres d’Aubrac n°5, nous avions ainsi une nouvelle “vraie” carte digne de ce nom.

De la Roche de Solutré à l’Aubrac

L’année suivante, je découvrais avec émerveillement sur le site de Léonie une carte de la Roche de Solutré, réalisée en grès pour le domaine viticole de Jacques et Nathalie Saumaize. C’est alors qu’est née l’idée de la carte en céramique de l’Aubrac. Avant même de parler du travail que représente ce type de réalisation, il était clair que Léonie devrait se déplacer sur ce plateau qu’elle ne connaissait pas. Nous étions en effet au-delà du travail de restitution classique : le relief demande à être appréhendé cap a cap, a fortiori celui de l’Aubrac, cette montagne du "vertige horizontal", comme évoquée par Julien Gracq.

Bien qu’enthousiasmée par le projet, la cartographe aguerrie, si elle maîtrise les techniques du volume et de la céramique, avait besoin de prendre contact avec un relief si particulier, de se confronter aux paysages, aux couleurs, à la végétation. Léonie est donc venue passer quelques jours à Saint-Urcize en compagnie de sa sœur, qui y avait déjà séjourné.

"Réaliser une carte, c’est rechercher, écouter, comprendre, puis faire des choix pour parvenir à une bonne transcription, pour raconter ce qu’on a compris". De même que dans la carte d’illustration, des choix s’opèrent ensuite, qui mèneront la cartographe, alors plus céramiste, plus artisan, à exagérer telle altitude, pour mieux traduire à l’œil, par la perception du volume, le ressenti du relief. De longues promenades à pied ou en voiture ainsi que des rencontres, comme avec Bernard Bastide, maire de Nasbinals, permettent à Léonie de s’imprégner, de mesurer la profondeur de telle ou telle vallée, la hauteur d’un puech. Avant de se pencher sur sa table de travail, il fallait se pencher sur le plateau. Il ne restait plus qu’à.

La mise en œuvre

Volume et modelage. D’abord, il faut décider d’une découpe en plusieurs morceaux, sorte de tectonique des plaques d’une Pangée aubracienne en devenir, la taille finale de la carte (86x74 cm) ne permettant pas de la cuire d’une pièce. Léonie crée le volume en reproduisant chaque courbe de niveau dans du polystyrène. Elle réalise ensuite un modelage de grès souple auquel elle donne la forme souhaitée, creusant les sillons du relief au fur et à mesure. L’ensemble doit doucement sécher à l’air libre pour ne pas se fissurer.

Engobe et couleurs. Après un travail de fraisage et de polissage viendra la couche de finition, l’engobe, également composé de grès, mais bien plus délayé et additionné d’oxydes colorants. C’est est un travail d’art et de précision du report cartographique : les forêts, routes, lacs et rivières naissent sous le pinceau, et le dosage des colorants exige d’anticiper sur la cuisson, qui atténuera les couleurs.

Cuisson. phase finale du travail, la cuisson, ou plutôt les cuissons, puisque la carte est composée de six pièces. Elle ne peut intervenir qu’après un long séchage de trois semaines. Les pièces sont cuites au four à 1.200° C, une haute température particulière à la céramique, qui est en quelque sorte vitrifiée à la cuisson, contrairement à la faïence qu’il faut émailler pour l’imperméabiliser. "Ce n’est pas une science exacte, comme le vin qui “pétille” ou le fromage du buron", rappelle Léonie. Mais la carte est là et nous l’avons adoptée pour notre sommaire.

Le début d’une histoire

Finalisée en plein confinement, nous n’avons pu voir que des photos de cet Aubrac cérame, qui "n’a pas sa place dans mon bureau", comme dit Léonie. Son souhait et le nôtre serait de la faire voyager sur l’Aubrac, sur une belle table ronde réalisée par un artisan, qu’on puisse tourner autour, qu’elle fasse parler les gens ("c’est là qu’est la maison !"), qu’elle séjourne dans un buron, dans une boucherie, un restaurant, des villages, au Salon de l’Agriculture, rue de l’Aubrac à Bercy. Bref, qu’elle vive sa vie de carte. C’est donc une nouvelle histoire qui commence. À suivre.    

Site internet : leoniecartographie.com

* Dans une très courte nouvelle intitulée “De la rigueur de la science”, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899-1986) évoque le texte imaginaire d’un auteur du XVIIe siècle également fictif, Suarez Miranda : “Les Voyages des Hommes Prudents”. Il y est question d’un empire dans lequel "l’Art de la Cartographie fut poussé à une telle Perfection que les Cartographes levèrent une Carte qui avait le format de l’Empire et qui coïncidait avec lui, point par point". Soit une carte à l’échelle 1. Umberto Eco s’en est inspiré dans “Pastiches et postiches”.

Galerie photos

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