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Rocamadour, un sanctuaire entre terre et ciel (épisode I)

Histoire.

Rocamadour, un sanctuaire entre terre et ciel (épisode I)
Rocamadour. Photo Pascal Cazottes.
«Lous oustals sul riou, las gleisas sus oustals, lous rocs sus las gleisas, lou castel sul roc» («Les maisons sur le ruisseau, les églises sur les maisons, les rochers sur les églises, le château sur les rochers.»). Dicton quercynois.
«Ainsi donc, quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, mais elle n’a pas croulé ; car elle était fondée sur le roc.» Matthieu (7 / 24-25)
Au nord-ouest du département du Lot, dans la vallée profonde de l’Alzou, s’accroche sur une paroi calcaire haute de 120 mètres une cité millénaire connue sous le nom de Rocamadour. Avec son titre envié de «2e site de France», la cité mariale a toujours attiré les foules, et en premier ces pèlerins qui contribuèrent largement à sa richesse et à sa renommée.

Roc-Amadour et sa vallée obscure


De toutes les provinces de France, mais aussi d’Europe, on venait demander des faveurs ou la rémission de ses péchés à la célèbre Madone qui avait déjà exaucé tant de prières. Il est vrai que la configuration même des lieux semble rapprocher les hommes de ce ciel paraissant, parfois, si inaccessible. Et à l’instar d’un Moïse qui gravissait les pentes du Mont Sinaï pour recueillir les paroles divines, les pèlerins montaient — et montent toujours — les 216 marches conduisant au sanctuaire afin de communier avec le divin. Comme nous allons le voir, Rocamadour est un site exceptionnel à plus d’un titre. Mais avant de décrire ses monuments ou de rappeler son histoire, que le lecteur nous permette de dire quelques mots sur son étymologie. Tout d’abord, signalons que Rocamadour ne s’est pas toujours appelé ainsi. Avant le Xe siècle, cette localité avait été gratifiée de l’appellation de «vallée ténébreuse». Si, à l’heure actuelle, la vallée profonde de l’Alzou n’a rien de «ténébreux», il faut toutefois s’imaginer qu’à l’époque, ce canyon devait être recouvert d’épaisses forêts, tout à fait propices à l’expression d’un culte quelque peu obscur dont nous parlerons plus loin. Cependant, dans un acte en date de l’an 968, il est fait pour la première fois mention du nom de «Roc-Amadour», lorsque l’église du lieu est cédée par Frotaire, évêque de Cahors, aux abbés de Tulle. En nous penchant sur cette dénomination, on s’aperçoit qu’elle est formée de deux mots : «Roc» et «Amadour». Le mot «Roc» ne soulève, par lui-même, aucune difficulté, faisant naturellement référence à ce rocher colossal sur lequel sont venus se greffer les édifices religieux, militaires et civils. A ce sujet, précisons que, selon l’érudit chanoine Arbellot, le terme «rocca» était généralement employé pour désigner un château fort élevé sur un rocher ou une montagne. Quant à «Amadour», il s’agit, bien entendu, du nom d’une personne dont la vie (ou une partie seulement de son existence) s’est déroulée dans ce coin retiré du Quercy, son souvenir s’étant perpétué au sein de la population locale. Or, si ce personnage avait élu domicile à l’abri de la roche surplombant l’Alzou, il avait également inspiré l’appellation de cet endroit, Rocamadour dérivant des «Rochers d’Amadour» (Rupes Amatoris). On remarquera aussi qu’Amadour vient du latin «amator» («qui aime» ou «qui a de l’amour») que l’on retrouve dans le terme occitan «Amat» («aimé de Dieu»). Ainsi, l’étymologie de «Rocamadour» est particulièrement simple. Il n’en va malheureusement pas de même avec cet Amadour aux origines mystérieuses qu’il nous faut maintenant essayer de percer.

Pacte avec le diable


Les légendes qui entourent Amadour ne manquent pas. L’une d’elles, la moins plausible, veut qu’Amadour ait été un ermite originaire d’Egypte. Un texte datant du XIVe siècle nous rappelle notamment que ses parents (un chevalier romain du nom de Pécominus uni à une certaine Atrahea) se désolaient de ne pouvoir concevoir un enfant. Le père, prêt à tout afin de connaître les joies de la paternité, se résolut à passer un pacte avec le démon. Ce dernier, en échange de ses services, réclama le premier-né du couple. Pécominus accéda à cette demande tout en invoquant le secours de la Sainte Vierge. Bientôt, un garçon naquit qui fut aussitôt enlevé par le démon accompagné d’une horde de ses semblables. Mais alors que ces 6.666 diables emportaient l’enfant dans les airs pour l’amener jusqu’en Egypte, ils furent aperçus par Saint Paul qui récupéra l’enfant après avoir chassé la légion infernale. Désormais élevé par Saint Paul, le garçon, ayant reçu le nom d’Amadour, accéda à la prêtrise une fois parvenu à l’âge adulte. Après avoir assisté à la décapitation de son bienfaiteur, Amadour partit à la recherche de ses parents afin de les délivrer des peines de l’enfer. Puis, il s’en alla trouver le pape à Rome pour lui faire part de son histoire et lui demander l’autorisation d’édifier une église sur les terres de ses géniteurs. Dans la nouvelle chapelle, où il fit transporter les corps de ses parents et de Saint Paul, eurent lieu de nombreux miracles. Lui-même fut inhumé dans l’édifice qui devint Notre-Dame de Roc-Amadour. En fait, cette légende fut inventée de toutes pièces de manière à établir la grande ancienneté d’un lieu saint de Sicile, situé non loin de Messine et connu sous le nom de Rocca-Amadori.

Les légendes autour d’Amadour


Une autre tradition tenace veut qu’Amadour ait été, en réalité, le publicain Zachée, soit un disciple du Christ. Rappelons ici que Zachée collectait les impôts pour le compte des Romains lorsqu’il rencontra Jésus et décida de suivre son enseignement (pour commencer, il donna la moitié de tous ses biens aux pauvres). Zachée était aussi l’époux de Véronique qui fut la compagne et la servante de la Vierge. Préalablement guérie d’un flux de sang après avoir touché les vêtements du Sauveur, Véronique, appelée également «l’hémorroïsse», recueillit l’image du visage de Jésus-Christ sur un voile qu’elle lui tendit sur le chemin du calvaire. Le temps des persécutions venu — Saint Etienne ayant eu le triste privilège de devenir le premier martyr de la chrétienté après avoir été lapidé — Zachée et sa femme n’eurent d’autre choix que celui de quitter la Palestine. Embarqué sur un frêle esquif, le couple traversa la Méditerranée avant de s’engager sur l’Océan Atlantique. Finalement, il débarqua sur les côtes du Médoc en un lieu appelé Pas-de-Grave. Habitant désormais en Aquitaine, Zachée et Véronique y auraient fait la connaissance (à Mortagne) de Saint Martial. Envoyé à Rome par l’évêque de Limoges afin de rendre compte de l’évangélisation de la Gaule, Zachée y serait resté deux longues années. Après avoir assisté aux martyres de Saint Pierre et de Saint Paul, Zachée aurait rejoint Saint Martial à Limoges pour lui remettre de précieuses reliques. Enfin, il serait retourné auprès de son épouse qui devait mourir quelque temps plus tard. Désormais seul, et souhaitant vivre en ermite, Zachée gagna le Quercy où il s’établit dans une vallée sauvage (la vallée de l’Alzou). En ce lieu, il vécut en anachorète et édifia une petite chapelle en l’honneur de la Sainte Vierge. Finalement, Zachée, désormais connu sous le nom d’Amadour, s’éteignit dans son refuge un 20 août. Cette histoire a été, en quelque sorte, accréditée par l’historien Bertrand de Latour, lequel écrivit, en 1633, que «le saint que nous appelons aujourd’hui Amadour, était nommé Zachée avant d’habiter la grotte dont nous avons parlé plus haut. C’est sous ce nom qu’il est désigné par le souverain pontife Martin V, dans la bulle où sont mentionnées certaines indulgences accordées aux pèlerins qui vont visiter l’oratoire érigé en ce lieu à la Bienheureuse Vierge Marie…». Le problème est qu’avant le XIIe siècle, on ne trouve nulle trace dans les écrits d’un quelconque Saint Amadour (il n’en est fait mention ni dans le martyrologue dit de Saint Jérôme, ni dans celui de Bède). Enfin, notons qu’il existe un doute quant à l’existence de Saint Martial au 1er siècle de notre ère, celui-ci étant aussi réputé avoir vécu au IIIe siècle comme le voudrait une borne leugaire conservée à l’abbaye du Moutier-d’Ahun (dans la Creuse), datant de 243, sur laquelle Saint Martial aurait été enchaîné avant d’être flagellé. De sorte que Saint Martial n’aurait pu en aucune façon être le contemporain de «Zachée - Amadour».
Dernière théorie, remontant au XVIIe siècle : le personnage de Saint Amadour ne serait autre que Saint Amateur, l’évêque d’Auxerre. Les reliques de ce dernier auraient été déposées par Saint Didier, au début du VIIe siècle, dans le monastère de Saint-Amans-de-Coronzac qui se situait dans l’arrondissement de Cahors. Mais les moines ayant craint un raid des Sarrasins, ils se seraient empressés d’aller cacher les précieuses reliques en un lieu relativement inaccessible qui, suite à cette translation, aurait porté le nom de «Roche d’Amadour». Cependant, cette histoire est, elle aussi, contredite par le fait que le corps entier de Saint Amateur se trouvait encore dans la cathédrale d’Auxerre en 859 (date à laquelle Charles-le-Chauve fit ouvrir la sépulture du saint de manière à pouvoir vénérer son corps épargné par la corruption).

Qui que soit Amadour, un ermite a bel et bien vécu sur le site


De sorte que le mystère demeure quant à l’identité du personnage nommé Amadour. Qui était-il ? Peut-être un ermite venu vivre une vie contemplative à l’écart du monde, le site escarpé de Rocamadour lui ayant offert un parfait refuge. La seule chose dont nous soyons certains à son sujet, a trait à ce souvenir indélébile qu’il laissa dans la mémoire collective de la population locale, preuve qu’il avait bel et bien existé. Et, en 1166, ce souvenir était encore si prégnant qu’il n’y eut aucun doute quant à l’identification du corps en parfait état de conservation que l’on exhuma par accident. Cette dépouille ne pouvait être, bien évidemment, que celle d’Amadour. Son corps, incorruptible (comme celui de Sainte Thérèse d’Avila), fut déposé, sur-le-champ, dans la petite église du lieu, à côté de l’autel de la Vierge. A partir de ce moment, on put constater la survenance de plusieurs miracles, ainsi que nous le rappelle Robert de Thorigny dans sa chronique : «en l’an 1166, un habitant de Roc-Amadour ayant manifesté le désir d’être enterré sous le seuil de la chapelle élevée à la Vierge, on trouva en creusant la terre un corps humain qui était intact. De nombreux miracles, dont on n’avait pas encore entendu parler, se produisirent depuis lors en ce lieu, non par l’intercession du saint mais par celle de la Vierge».
À suivre...

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