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L'église des Infournats et son trésor caché

Histoire.

L'église des Infournats et son trésor caché
Console du XIVe siècle entourée de deux personnages.

Sur la commune de Jouqueviel (Tarn) se dresse, au lieudit "les Infournats", une charmante petite église, visible depuis l’extrémité est de la commune de Bor-et-Bar d’où on peut l’apercevoir sur la berge opposée du Viaur, accroché à une pente abrupte qui descend jusqu’au pont du diable. A l’origine, le village des Infournats comprenait une centaine d’habitants. Mais, après 1914, il fut presque entièrement déserté. Aujourd’hui, seuls quatre ou cinq bâtiments, dont l’ancien presbytère, sont encore debout. Par contre, l’église romane, du XII e  siècle, a traversé le temps sans encombre, malgré quelques modifications (touchant principalement à son entrée). Toutefois, et avant même de partir à sa découverte, penchons-nous un instant sur l’étymologie du lieu qui semble, a priori, bien mystérieux.

Les infournats, qu’es acò ?


En 1891, le géographe Louis Rousselet écrivait dans “le Journal de la Jeunesse” : "…les Infournats, ce qui veut dire en patois les Enfournés, donne une idée de la température estivale de cette pointe rissolée". Si l’explication donnée par Rousselet paraît un peu simpliste, en revanche, elle nous met sur la voie du mot principal à partir duquel s’est formé le nom des Infournats : "four". Ce terme vient du latin "Fornax" qui désigne aussi bien le four à chaux ou à poterie que la déesse romaine des fours. A partir de "Fornax" s’est constitué le "Locus de Infornasis" qui est devenu, à son tour, "Los Infornàs" puis "Les Infournats" ou "Les Infournas" (nom d’un village des Hautes-Alpes). Précisons que le préfixe "in" sert ici à indiquer la localisation ("sur le site du four ou à l’endroit du four", pour reprendre les mots du spécialiste en onomastique Jacques Astor). Nous savons donc qu’il existait un ou plusieurs fours à l’emplacement des Infournats. Mais à quoi servaient-ils ? S’agissait-il de fours destinés à traiter le minerai de plomb ou de fer ? Nous savons, en effet, qu’il existe des gisements métallifères dans la région comme nous l’apprend E. Ginestet dans la revue du Touring-Club de France du mois d’avril 1914 : "…les nombreux filons découverts au Pic du Rouet, à Pampelonne, à Mirandol, aux Infournats, etc.". Une dernière théorie quant à l’usage des fours doit cependant être avancée, bien qu’elle tienne davantage de l’anecdote. Elle reprend, en fait, une vieille légende qui veut que l’on ait construit des fours à cet endroit dans le seul but d’incinérer les cadavres issus de l’épouvantable croisade contre les Albigeois. Enfin, pour clore cet exposé sur l’étymologie des Infournats, il nous faut encore rappeler cet extrait issu du cinquième volume de la “Revue historique, scientifique et littéraire du département du Tarn” (1885) : "Nous voyons aussi qu’aux XIIIe et XIVe siècles, ce village s’appelait, dans l’idiome local, los Esfornats". Avec le préfixe "es" (ou "ex"), nous avons plutôt l’idée d’une sortie, d’une exclusion. De sorte que le terme "esfornats" pourrait fort bien s’appliquer à ceux qui étaient exclus de l’usage du four banal…

 

Visite de l’église


Après ces quelques explications, nous en venons à l’église proprement dite des Infournats. Ainsi qu’il a été dit plus haut, cet édifice religieux date du XII e  siècle et remonte donc à cette période romane qui a été si riche d’un point de vue symbolique. Si l’aspect extérieur est plutôt austère, avec une absence presque totale d’ouvertures (les rares embrasures existantes ressemblent davantage à des meurtrières laissant supposer que le bâtiment était fortifié), nous devons imaginer un intérieur très imagé et coloré où les fresques avaient largement leur place. Or, cette décoration est certainement toujours présente aux Infournats, dissimulée sous des couches de plâtre, comme en atteste ce morceau de peinture rendu visible au plafond de la partie sud-est de l’église (là où se trouve la statue de la Vierge en Majesté) après qu’un bout de plâtre s’en soit détaché. Mais revenons un instant à l’extérieur pour admirer ce portail gothique du XIVe  siècle. De prime abord, nous remarquons le matériau dans lequel il a été réalisé : le grès. Cette roche se distingue assurément du reste du monument qui, lui, a été bâti avec du schiste (la pierre locale). Juste au-dessus de l’arc brisé encadrant la porte a été placée une console sur laquelle devait reposer une statue aujourd’hui disparue, peut-être une madone. De sorte que le dais finement sculpté surplombant cet emplacement a perdu sa fonction première de protection. La console est elle-même accompagnée par deux personnages difficilement identifiables. Néanmoins, nous pouvons remarquer que le sujet de gauche, dont nous pouvons déplorer la décapitation, est habillé d’une robe. Il s’agit, par conséquent, d’une femme. Etait-ce une autre représentation de la Vierge Marie ? Dans ce cas, il ne serait pas impossible que l’individu de droite soit Saint Jean (le disciple préféré du "Sauveur"), ces deux êtres — Marie et Jean — étant restés au pied de la croix tout au long de l’agonie du Christ. Pour en terminer avec le portail de style gothique flamboyant, signalons encore la présence de cette date — 1232 — située juste en-dessous de la console. Cette date est en elle-même un mystère, car elle ne correspond ni à la date d’édification de l’église (remontant au XIIe siècle) ni à la date de réalisation du portail d’entrée (du XIVe siècle). La disposition intérieure de ce bâtiment n’a absolument rien d’ordinaire : pas de transept ou de chœur bien défini, seulement quatre compartiments de surface inégale délimités par des arcs doubleaux à plein cintre partant d’un gros pilier central. On notera que ce pilier forme la base du "mur-clocher" qui, placé au beau milieu de l’édifice, constitue une autre particularité. Et que dire de cette porte d’entrée placée au sud, malgré le fait que l’église soit orientée est-ouest ? La logique aurait voulu que l’entrée eût fait face au soleil couchant. Est-ce la configuration du terrain qui a imposé une telle architecture ? On nous permettra d’en douter…
Avec l’église des Infournats nous ne sommes pas arrivés au bout de nos surprises, puisque nous découvrons, dans le deuxième "compartiment" (sur la droite), une statue de Madone tout à fait exceptionnelle, datée de la fin du XII e  siècle. Nous notons que la vierge est en "Majesté" (assise sur un trône), que l’enfant Jésus est positionné dans le giron de la Vierge, et que l’artisan a accordé une attention et un soin tout particuliers à la représentation de la Vierge, soit autant d’éléments qui nous permettent d’affirmer que nous sommes en présence d’une authentique Vierge Noire. Certains objecteront que la statue des Infournats n’affiche pas cette couleur propre aux Vierges Noires. Cela est vrai. Toutefois, nous apprenons que cette "Vierge à l’enfant" a été recouverte d’une dorure au XVIII e  siècle et enduite d’une fine couche de plâtre, écaillé en divers endroits, de sorte qu’il nous est loisible de voir le bois original, qui est noir ! Une autre : il semble que les couronnes de la Vierge et de son enfant, entièrement en plâtre, aient été rajoutées, elles aussi, au XVIII e  siècle. Ce qui nous permet d’avoir une meilleure idée de la statue originale et de lui trouver une étonnante ressemblance avec la Vierge romane d’Orcival (Puy-de-Dôme), datée du XII e  siècle. Enfin, une fiole de sang coagulé reposait encore, à la fin du XIX e  siècle, dans un creux aménagé dans le buste de l’enfant. Aujourd’hui disparue, nous voyons toujours son emplacement dans la statue qui était donc, en plus, une statue reliquaire. Qu’est devenue la fiole en question ? A-t-elle été brisée suite à un malencontreux accident ? Et à qui avait appartenu ce sang réputé apporter la guérison aux malades, notamment ceux atteints d’une maladie de peau ? En France, certaines églises sont censées posséder quelques gouttes du "Précieux Sang" (ou "Saint Sang") du Christ supposément recueilli par Joseph d’Arimathie au pied de la Croix. Se pourrait-il que la fiole des Infournats ait contenu pareille rareté ?
La place nous faisant malheureusement défaut, il ne nous est guère possible de parler de ces autres objets reposant dans l’église, comme ce retable du XVIII e  siècle contenant, en son centre, une statue de la Vierge à l’enfant, ou cette "véritable image sacrée du visage de Notre Seigneur Jésus Christ" certifiée conforme, en 1879, à celle détenue par la basilique Saint Pierre au Vatican. Mais ces pièces sont, il est vrai, bien peu de chose en comparaison de cette Vierge Noire d’une taille exceptionnelle (plus de 90 centimètres de haut). A elle seule, cette statue constitue le trésor de l’église des Infournats, un trésor d’autant plus rare qu’un nombre très restreint de ces Vierges a réussi à parvenir jusqu’à nous, après une longue traversée de presque neuf siècles…

 

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