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La vie des rivières. Les chaussées de moulins, patrimoine hydraulique en danger (1/21)

Les chroniques. Une chronique inédite de Jean-Pierre Henri Azéma, docteur en Géographie et consultant spécialiste du patrimoine industriel et des moulins, de l’histoire des rivières et de l’énergie. 

La vie des rivières. Les chaussées de moulins, patrimoine hydraulique en danger (1/21)
Sébrazac (Aveyron) : au Moulin de Coudoustrines, la chaussée multiséculaire célèbre le génie humain, tirant du Lot une énergie et une vie durable tout en respectant la nature(photo JPH Azéma, mai 2017).
À l’automne 2020, le Bulletin d’Espalion s’est inquiété des menaces qui pesaient sur la chaussée du Moulin d’Olt, un ouvrage emblématique de la capitale du Nord-Aveyron. La politique qui se déploie actuellement en France menace en effet l’équilibre de nos ressources en eau comme notre sécurité. Les chaussées ont une histoire. Aussi, en 2021, est-il important d’en expliquer l’usage et le rôle dans l’environnement des rivières et la gestion de l’eau. Mais d’abord qu’est-ce qu’une “chaussée” ? À quoi sert cet ouvrage humble et original ?

En 2021, pourquoi les chaussées de moulins sont-elles menacées ?


Depuis 80 ans, nos rivières françaises subissent des agressions multiples et déstructurantes ; drainage massif des plaines alluviales, recalibrages des rivières lors des remembrements. Ainsi ont disparu plusieurs dizaines de millions de kilomètres de haies, outils essentiels de régulation de l’eau. Il ne restait plus qu’une bêtise à faire. L’administration l’a faite. Après avoir sacrifié plus de 70% des zones humides naturelles, c’est le tour de la destruction des dernières zones humides associées aux rivières elles-mêmes.
Depuis plus de 10 ans, la destruction des chaussées de moulins est engagée. Ces ouvrages humbles et parfaitement intégrés dans nos cours d’eau, qui protègent la biodiversité, sont menacés de disparition par un mélange de dogmatisme idéologique, de lobbying adroit et d’entêtement administratif. Au moins 6.000 ont déjà été détruites sur le territoire national. Rien que pour le bassin Adour-Garonne, le programme 2020-2027 prévoit d’en détruire 933 ! Dans le département de l’Aveyron, 29 sont concernées. Pourquoi une telle situation ?
Le 12 juillet 2021 nous fêteront les 80 ans de la création, par Vichy, des “associations gestionnaires des poissons”. Ces groupes structurés sont depuis plus de 40 ans à la manœuvre derrière chaque loi sur l’eau. Devenues au fil des ans un instrument de pouvoir politique pour le contrôle de l’eau et des rivières, leur bilan est des plus calamiteux. Il y eut d’abord la Loi pêche de 1984, la Loi sur l’eau de 1992, et la Loi LEMA de 2006 sur la “continuité écologique” ( sic). Alors qu’elles ne représentent que 1,8% de la population française, elles se sont imposées comme interlocuteurs privilégiés de toutes les administrations. Pour cela elles ont déployé une stratégie de désinformations scientifique, centrée essentiellement sur les poissons migrateurs, ou perçus par eux comme tels. Malheureusement elles ont été écoutées.
Depuis plus de 1.200 ans, intimement associées aux moulins qui ont construit l’Europe, les rivières européennes sont couvertes de chaussées, et le poisson n’a jamais fait défaut dans tous les pays du continent durant cette longue période. Avec la Loi de 1984, les “associations gestionnaires des poissons” ont commencé à imposer, sans aucune étude scientifique préalable et contradictoire, des échelles à poisson sur les chaussées de nombreux moulins. Leurs pressions auprès des administrations “gestionnaires de l’eau et des rivières” s’avérant efficaces, cette stratégie fut affinée avec la Loi de 2006, elles demandèrent à ce que l’on se débarrasse définitivement des chaussées de moulins. Un stratagème fut mis en place : imposer au propriétaire de moulin d’équiper sa chaussée d’une échelle à poisson, et ce, toujours sans fournir de dossier scientifique argumenté. Coût moyen des travaux 400.000 €. L’administration en payant 50%, il reste 200.000 € à la charge du particulier, qui est souvent dans l’incapacité de payer. L’administration lui “offre” alors 3.400 €, en contrepartie de la destruction totale de l’ouvrage. Ainsi piégé, le propriétaire ne peut que s’incliner et accepter, la mort dans l’âme, cette “offre” contre nature. Pour la première fois de son histoire, l’Etat subventionne ainsi la destruction d’un pan entier du patrimoine, et ce sans étude patrimoniale préalable, ni étude d’impact !
Photo : au Moulin de Coudoustrines, la chaussée multiséculaire célèbre le génie humain, tirant du Lot une énergie et une vie durable tout en respectant la nature (photo JPH Azéma, mai 2017).

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