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Histoire. Retour sur l’affaire Fualdès (épisode III)

Histoire.

Histoire. Retour sur l’affaire Fualdès (épisode III)
Gravure ancienne représentant Fualdès assassiné. Collection Musée Fenaille, Rodez.

Le récit des enfants Bancal


A l’hospice de Rodez où les enfants Bancal ont été conduits, c’est désormais un défilé incessant de personnes qui veulent voir la progéniture des supposés assassins et, surtout, leur extorquer quelque information. Au début, les enfants sont terrorisés et n’osent pas prononcer la moindre parole. Mais à force d’attentions à leur égard, de remise de friandises, voire de quelques sous, les langues commencent à se délier. C’est surtout Madeleine (ou Magdelaine), petite fille âgée de 9 ans, qui devient intarissable. Voici, en résumé, l’histoire qu’elle livre à tous ceux qui veulent bien l’écouter et, surtout, la récompenser : le soir du 19 mars, la "Bancal" avait ordonné à ses enfants de monter dans leur chambre juste après le souper. Mais, très vite, Madeleine, qui n’était pas encore endormie, perçut du bruit dans la cuisine. Intriguée par ce tintamarre inhabituel, et sa curiosité la poussant à braver tout interdit, elle sauta bientôt hors de son lit et descendit les escaliers à pas de loup. Une fois arrivée dans la cuisine, elle rasa le mur pour venir se cacher dans un lit dont les rideaux en masquaient la vue. Toutefois, grâce à un trou dans le tissu, la petite Madeleine put observer une grande partie de la scène. C’est alors qu’elle vit son père, Antoine Bancal, et Collard, l’ancien soldat du train, maintenir solidement un homme sur la table de la cuisine. Dans la pièce, elle reconnut aussi Anne Benoît, la concubine de Collard, Catherine Bancal, sa propre mère, un certain Missonnier et, surtout, Bastide qui, paraît-il, était un habitué de la maison. Les autres personnages lui étaient inconnus. Parmi eux se trouvaient un homme boiteux avec des favoris noirs et deux dames mystérieuses dont l’une d’elles portait un chapeau blanc avec des plumes vertes. Si l’homme boiteux ne fut jamais identifié, ni les dames, d’ailleurs, la petite Bancal entendit une des inconnues — qui ne restèrent pas très longtemps — prononcer le nom de Jausion en s’adressant à l’un des hommes présents dans la pièce. Après avoir assisté à l’égorgement de Fualdès dont sa mère et Anne Benoît recueillait le sang dans un baquet de lessive, elle vit Bastide s’approcher du lit pour en tirer le rideau. Faisant alors semblant de dormir, Madeleine sentit la main de cet assassin (Bastide étant, selon elle, celui qui sut le mieux manier le couteau pour trancher la gorge de Fualdès) lui caresser la joue. Conscient que cette enfant avait tout vu et tout entendu, Bastide aurait proposé aux époux Bancal de se débarrasser de ce témoin gênant en échange d’une forte somme d’argent. Enfin, Madeleine aurait également vu une dame habillée en homme sortie sans ménagement du cabinet attenant à la cuisine. Dans un premier mouvement, Bastide aurait voulu ôter la vie à cet autre témoin, mais un homme — vraisemblablement Jausion — se serait opposé à ce second meurtre. En échange de sa vie, la femme déguisée se serait vue obligée de garder le silence sur cette terrible affaire, après qu’on lui eût fait prêter serment sur le cadavre encore chaud de Fualdès. Voilà une histoire bien incroyable et non moins terrifiante que Madeleine répétait sans sourciller, bien que de tels faits eussent dû la traumatiser à jamais. En outre, ce récit correspondait au scénario que les Ruthénois s’étaient déjà imaginé. De là à penser que toute l’histoire lui fut suggérée, morceau après morceau, et peut-être par des personnes y ayant intérêt (notamment pour dissimuler les vrais coupables), il n’y a qu’un pas qu’on serait volontiers tenté de franchir. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que son petit frère Alexis, âgé de cinq ou six ans, se mit lui aussi à parler. Il déclara, entre deux sanglots, qu’il avait tout vu parce qu’on avait omis de lui couvrir la tête. Il précisa que le monsieur qu’on avait tué était "malade et méchant". Pourtant, son frère Victor, de deux ans son aîné, n’hésita pas à le contredire en affirmant qu’il n’avait pas pu être témoin de quoi que ce soit, puisque tous deux étaient au lit au moment des faits présumés. Ils n’avaient donc rien vu ni entendu. Se pourrait-il que le jeune Victor ait été le seul à dire la vérité ? Un autre témoignage, celui d’une cabaretière du nom de Rose Féral, renforça les soupçons que l’on avait déjà sur certains individus et permit d’en suspecter d’autres. D’après elle, plusieurs de ses clients s’étaient livrés à un bien curieux manège lors de la fatidique soirée du 19 mars. Ainsi, elle avait vu Jean-Baptiste Collard, Joseph Missonnier, Palayret, Bach et Jean Bousquier entrer dans son estaminet pour boire une bouteille. Jusque là, rien que de bien normal. Sauf que Collard et Missonnier avaient quitté les lieux vers huit heures du soir, que Bach avait fait plusieurs allers-retours et que Bousquier et Palayret avaient quitté l’établissement après neuf heures du soir, soit des horaires correspondant, au vu des témoignages recueillis, aux différentes interventions de quelques protagonistes dans l’affaire Fualdès. On reconnaîtra, toutefois, que ces indices étaient bien minces, ce qui n’empêcha pas les autorités judiciaires de faire arrêter ces cinq hommes, ainsi qu’Anne Benoît, entre le 24 et le 28 mars. Seul Palayret fut très rapidement relâché après avoir fourni un alibi indiscutable.

 

"Je cherche le moyen de régler vos comptes ce soir"


Nous en venons maintenant au principal accusé dans cette affaire : Bernard Charles Bessières-Bastide, dit Bastide-Gramont. Né le 8 janvier 1775 à Dalmayrac, commune de Rodelle, Bastide était un colosse d’1,90 m (taille peu commune pour l’époque) aimant les femmes et la bonne chère. Issu d’une bourgeoisie riche confinant à la noblesse, ce propriétaire terrien possédait le domaine de Gros situé à une dizaine de kilomètres de Rodez. Non content de s’occuper d’agriculture et d’élevage, il faisait fructifier son argent en lançant des effets (un "effet" est un document écrit par lequel une personne s’engage vis-à-vis d’une autre à lui payer une certaine somme d’argent à une date donnée — NdlA) sur la place de Rodez. Royaliste de cœur, cela ne l’empêchait pas de côtoyer un Bonapartiste déclaré en la personne de Fualdès qui n’était autre que son parrain ! Or, dans l’après-midi du 19 mars, on avait vu Bastide et Fualdès parler affaires dans Rodez. D’après les témoins, Fualdès, haussant le ton, réclama à Bastide le remboursement d’une forte somme d’argent, sauf que Bastide, n’ayant pas à sa disposition de telles liquidités, lui aurait répondu : "Je cherche le moyen de régler vos comptes ce soir", avant de lui donner rendez-vous, le même jour, vers vingt heures. Mais d’après Bastide, qui fut interrogé une première fois par le juge d’instruction Teulat, l’histoire différait quelque peu. S’il était exact qu’il avait bien rencontré Fualdès dans l’après-midi du 19 mars, ce n’était pas pour une question de dette, mais pour aider son parrain à monnayer quelques effets provenant de M. de Séguret en paiement du domaine de Flars que Fualdès lui avait vendu. Bastide conduisit donc Fualdès chez M. Julien Bastide (pas un parent mais un simple homonyme) qui exerçait la profession de drapier et plus occasionnellement celle de banquier. Sur les dix mille francs d’effets que Fualdès voulait céder, Julien Bastide n’en prit qu’un seul pour lequel il versa à l’ancien procureur la somme de deux mille francs. A noter que Bastide disait la vérité, étant donné que le drapier Bastide valida cette version de l’histoire, précisant même que les deux hommes — Bastide et Fualdès — s’entendaient fort bien lorsqu’il les a vus. Après cette transaction, Bastide accompagna son parrain jusque chez lui et resta un petit moment dans sa demeure avant de quitter Rodez en fin d’après-midi pour rejoindre son domaine de Gros. Bastide apporta alors une précision quant à son séjour momentané chez Fualdès : au moment où il se trouvait chez lui, un homme, tout vêtu de vert, se présenta au domicile de Fualdès. L’homme en question avait un message pour l’ancien magistrat : celui-ci devait se rendre à un rendez-vous qu’on lui avait fixé pour huit heures du soir. Voilà une information des plus intéressantes dont le juge d’instruction ne tint pourtant aucun compte. Il aurait été cependant des plus judicieux de retrouver l’homme en vert qui, s’il n’était coupable du meurtre de Fualdès, puisque simple messager, avait nécessairement dû être en contact avec son ou ses assassins. Enfin, Bastide affirma avoir quitté le domicile de l’ancien procureur en fin d’après-midi et être directement rentré chez lui, ce que confirma le palefrenier Ginisty qui vit Bastide venir récupérer son cheval dans son écurie et partir avec l’animal vers les six heures du soir. Il n’y avait donc aucune raison que Bastide fût soupçonné du meurtre de son parrain. Néanmoins, un nouveau témoignage, celui de Marianne Varès, la servante de Fualdès, vint remettre les enquêteurs sur la piste de Bastide. En effet, celle-ci déclara avoir vu Bastide très tôt le matin du 20 mars. S’étant présenté au domicile de son maître, Bastide s’était dirigé tout droit vers le cabinet de travail où il avait examiné longuement l’intérieur d’une armoire. Puis, tout en discutant avec la servante, il l’avait aidée à plier des draps. A ce moment, une clef était tombée de la poche de Bastide que la servante crut reconnaître comme étant la clef du secrétaire de Fualdès, parce qu’elle était brillante ! Quel était donc le but de la visite de Bastide ? Avait-il cherché à récupérer des effets de commerce ou des reconnaissances de dettes ? La rumeur publique n’affirmait-elle pas qu’il devait dix mille francs à son parrain ? En tout cas, il n’en fallut pas plus pour que Bastide fût convoqué une deuxième fois par le juge d’instruction le 25 mars 1817. Devant les explications de Bastide qui ne changea pas sa version des faits d’un iota, soit que le 19 mars, à vingt heures, il soupait avec sa femme Marguerite dans sa propriété de Gros, Teulat tenta de faire craquer Bastide en l’accusant ouvertement d’avoir tué Fualdès. Ce qui eut pour effet de faire bondir notre colosse, lequel lui répliqua : "Quoi, vous, un magistrat, vous vous oubliez à ce point ! Vous osez dire une chose pareille. Vous êtes fou !" Le juge d’instruction ne laissa pas à Bastide le temps d’en dire davantage. Il le fit aussitôt arrêter et conduire en prison. Le lendemain, on procéda à une perquisition au domicile de Bastide. Loin de trouver des documents compromettants, on découvrit, au contraire, deux lettres de change signées par Fualdès établissant que c’était l’ancien procureur qui devait de l’argent à son filleul (une somme de 3.125 francs et une autre de 2.426 francs). Pour autant, Teulat n’en tint pas compte et Bastide resta en prison.
À suivre...

 

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