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Interview. Jean-Paul Pelras : «Je souhaitais que ces lettres soient publiées, car elles correspondent à une rupture sociétale»

Actualité. Le journaliste a publié le 18 mai aux éditions MBE du Bulletin d’Espalion son dernier ouvrage baptisé “Bien chers tous”, dans lequel il a regroupé plus de quatre ans de correspondance et 136 lettres qui se dévoilent au fur et à mesure des 550 pages.

Interview. Jean-Paul Pelras : «Je souhaitais  que ces lettres soient publiées, car elles correspondent à une rupture sociétale»
Jean-Paul Pelras et son nouveau livre, “Bien chers tous”,
disponible au Bulletin d’Espalion.

Interview

À travers plus de 150 courriers, Jean-Paul Pelras a alpagué de nombreuses personnalités. De Jean-Luc Mélenchon à Greta Thunberg en passant par Robert de Niro ou Gérard Depardieu, chaque semaine, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire L’Agri s’empare de sa plume pour questionner l’actualité. Ses mots sont le témoignage d’une époque qui a été secoué par les gilets jaunes, la crise sanitaire ou le conflit ukrainien…

À lire : Une édition du Bulletin d'Espalion. “Bien chers tous” Correspondances 2019-2023

Né en 1963 à Perpignan, l’auteur - d’une vingtaine d’ouvrages - partage son temps entre les montagnes de l’Aubrac et les cimes pyrénéennes. D’abord maraîcher et syndicaliste agricole, rien ne le prédestinait à devenir journaliste si ce n’est l’amour et l’admiration de l’écriture. «Paysans et journalistes : les premiers savent, les seconds disent. J’ai été l’un et l’autre. Sans jamais être l’un ou l’autre. Finalement je crois que ni les uns ni les autres ne me l’ont pardonné.», analyse-t-il dans son livre Le journaliste et le paysan. Les lecteurs du Bulletin l’ont découvert à travers des nouvelles champêtres dans lesquelles il décrit avec passion une époque révolue qui sent le pot à lait ou le savon de Marseille, avant de revenir à son premier amour : la réflexion, le questionnement et la contestation.

Comment le rédacteur en chef de l’Agri dans les Pyrénées-Orientales en est-il venu à écrire des chroniques dans le Bulletin d’Espalion ? 

Tout simplement en passant un coup de fil à Jean Bonnaterre, directeur du Bulletin. Et en lui proposant ma contribution, voilà huit ans, avec les chroniques champêtres, puis avec ces correspondances. Il y avait aussi une raison géographique, puisque je me rapprochais du “pays”, de ce nord Lozère d’où ma mère était originaire, où mes grands-parents sont enterrés et où j’ai passé une bonne partie de mon enfance.

Pourquoi des chroniques sous la forme de correspondance ? D’où vous vient cette idée ? 

C’est un peu l’histoire de la bouteille à la mer. Et la mer c’est internet avec, notamment, les réseaux sociaux. En 2019, j’ai enregistré une petite vidéo d’une minute et 36 secondes, avec un simple téléphone portable, intitulée “Monsieur le Président, je ne vous autorise plus à vous occuper de moi”. En moins d’une semaine, elle a été vue et partagée plus de quatre millions de fois. Lorsque je poste une correspondance, tout part d’un journal et d’un lien internet. Ensuite parce que les mots collent à l’actu, car le titre accroche ou, car vous donnez au lecteur la possibilité de s’exprimer par procuration, la lettre fait son chemin. Et, sur twitter, “taguée” avec le “@” suivi de son nom, elle atteint son destinataire qui peut en prendre connaissance.

Pourquoi vous avez eu envie de réunir vos correspondances dans un livre ?

Peut-être, comme pour mes publications précédentes, pour les matérialiser. Vous savez, j’ai quitté l’école à quatorze ans et parce que les livres, la plupart du temps, survivent à leurs auteurs, j’ai un grand respect pour les mots. D’autre part, je souhaitais que ces lettres soient publiées car elles correspondent à une période précise, à une rupture sociétale ? C’est un témoignage qui rappelle que l’on nous a interdit de boire un café debout, de dépasser un kilomètre, quelque part ici en France où, entre autres contraintes, l’on ne sait toujours pas, concernant nos anciens, qui du virus ou du chagrin est venu les chercher.

Vos “correspondances” débutent en 2019 dans l’Agri, mais dans le Bulletin vous annoncez la fin de vos chroniques “champêtres” (débutées en 2015) le 5 novembre 2020. Votre première correspondance est une ”Lettre à votre père qui n’aurait pas supporté cette époque“, pourquoi ? 

Mon père était ouvrier agricole, il était capable de descendre une rangée de vigne avec un sac d’engrais de 50 kilos coincé sous chaque bras. Il ne s’est jamais embarrassé des pacotilles de l’existence. Et cette époque est justement une époque de pacotille où le paraître l’emporte sur l’être, où l’entre-soi lutécien méprise le quotidien de ceux qui vivent à la campagne, où l’écologiste est plus écouté que le paysan, où le loup est mieux défendu que l’agneau, où le droit à la paresse l’emporte sur le travail, où l’échelle des valeurs vole en éclat. Cette lettre, je l’ai rédigée en me souvenant de lui, pour ceux qui ne savent de l’outil ni l’usage ni le prix.

Au fil de ces correspondances, votre souci du monde agricole se ressent de façon forte. D’où vous vient cet intérêt ? 

Avant de devenir journaliste, je fus maraîcher et arboriculteur dans les P-O [Ndlr : Pyrénées-Orientales]. Fils d’ouvriers, donc partis de rien, nous avons construit avec mon frère aîné une exploitation importante, 13 hectares de serres, 50 hectares de plein champ, 120 salariés… Ensuite, il y eut le syndicalisme agricole, les responsabilités de Perpignan à Paris, 15 jours de prison suite à une manif et la concurrence espagnole qui suscita la déprise champêtre que l’on sait dans le Midi de la France. Mais aussi, au large des années 2000, la fin de notre aventure agricole. J’ai consacré ma vie à la défense du monde paysan et de la ruralité. Devenu journaliste, j’ai continué. Seule la tribune a changé.

Comment trouvez-vous vos idées de sujet pour vos correspondances ?

En m’inspirant de l’actualité. Mais aussi des dérapages ou des contradictions de ceux à qui les lettres sont destinées. En règle générale, par les temps qui vont, je ne rencontre pas beaucoup de difficultés pour trouver le client, pour débusquer le sujet.

Avez-vous déjà eu des réponses des personnes interpellées dans vos correspondances ? 

Je sais grâce au “tag” de twitter qu’ils sont avertis et peuvent lire les lettres. Parfois je les leur destine par mail. Certains, très rarement, répondent par un tweet comme Marine Tondelier, présidente d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) ou, sur les messageries, comme Elise Lucet, Périco Légasse, plus récemment l’écologiste Camille Etienne. D’autres, comme Guillaume Canet ou Edouard Bergeon m’ont appelé. Avec Jean Castex, puisque “voisins” dans les P-O, ce fut un peu différent. Il y eut une tribune dans Le Point et quelques textos échangés. Mais il était devenu Premier ministre et, forcément, les limites s’imposaient… Ensuite arrivent les échanges collatéraux, “phénomènes épiphénoméniques” via twitter, comme avec Mac Lesggy, Pierre Lescure, Alexandre Jardin, Jacques Attali, Géraldine Woessner, bien sûr, du Point, ou Emmanuelle Ducros de L’Opinion. La toile est un espace où tout est rendu possible, que ce soit depuis ce petit village où je gîte dans les Pyrénées comme depuis l’Aubrac où je passe désormais le plus clair de mon temps.

Parmi vos correspondances, en retenez-vous certaines plus que d’autres ?

Celles à Juliette Binoche et Marion Cotillard qui firent un carton, car elles dénonçaient les contradictions des égéries du luxe invitant, derrière des prétextes écologiques, à moins consommer. La lettre à Éric Piolle, maire de Grenoble ou à Hugo Clément partagées plusieurs centaines de milliers de fois sur le net. La lettre à mon père, bien sûr. Celle à cette “infirmière exclue” qui vint me voir discrètement un soir alors que j’assistais aux 40 ans de Radio Margeride pour me remercier et me dire : «Je suis l’infirmière, votre lettre a redonné un sens à ma vie» et ces quelques mots, soudainement, ont donné un sens à toutes ces lettres !

Vos correspondances ne laissent pas nos lecteurs indifférents. On vous aime beaucoup, mais certains vous trouvent systématiquement dans la contestation ou l’insatisfaction. Qu’en pensez-vous ? 

C’est ce qui fait débat. Il faut savoir accepter la contradiction dans la mesure où les interlocuteurs demeurent corrects. Ensuite, il faut y aller à fleurets mouchetés, poliment, en dosant sérieux et ironie. L’écrivain gardois Jean Carrière (Goncourt 1972 pour L’épervier de Maheux) me confiait un jour : «Tu sais, l’écriture est une petite malédiction dont on ne peut se dépêtrer». Je rajouterai qu’elle nous condamne à une certaine solitude, puisque nous ne pouvons pas mesurer la portée de ce que nous publions. Il n’existe pas d’applaudimètre. Alors, lorsque dans la rue ou au supermarché, que se soit à Nasbinals, à Laguiole ou à Espalion, quelqu’un vous aborde timidement, car il a vu votre photo en médaillon dans le Bulletin, on est un peu surpris. Et, pourquoi le taire, fier à la fois d’avoir suscité un quelconque intérêt. Ensuite advient cette amplitude entre cet échange avec des inconnus et la solitude de celui qui écrit. Peut-être, à bien y regarder, pour ne pas être interrompu !

Propos recueillis par Xavier Palous et Aline Amodru-Dervillez

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