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Hommage à un ancien buronnier. Benoît Falq, rol croqueur de sucre, cantalès mangueur de fourme, un texte inédit d'Yves Garric

Les chroniques. Hommage à un ancien buronnier

Hommage à un ancien buronnier. Benoît Falq, <em>rol</em> croqueur de sucre, <em>cantalès</em> mangueur de fourme, un texte inédit d'Yves Garric

Il est trois heures du soleil, par cette matinée tout à peine naissante du printemps 1934. Mais, de l’astre du jour et de ses revigorants rayons toujours très appréciables en cette saison et à cette altitude, on risque fort de devoir se passer. Tout contre les lauzes, en effet, juste là, de l’autre côté du toit, à moins d’une dizaine de centimètres des têtes, s’entendent tambouriner les grosses gouttes d’une giboulée plus que vraisemblablement glaciale. Sur les montagnes d‘Aubrac, la coutume veut qu’on ait trait un seau de lait avant qu’il se lève, ce fameux soleil qui règle les horloges.

Du haut de ses dix ans, Benoît met son point d’honneur à être prêt en même temps que le cantalés, le pastre et le “vedelier”1 près de qui il dort, au “trave”2, la mansarde à l’étage du “masuc”3, où ils ont tous quatre leurs paillasses, près du foin des veaux. Ce réduit plus que spartiate, ne dispose pas de la moindre fenêtre. Et il est rigoureusement interdit d’y allumer la moindre flamme, lanterne ou bougie, en raison du foin qu’il abrite. Pour savoir le temps qu’il fait dehors, on a tout loisir d’actionner la lauze pivotante qui recouvre un trou percé dans le toit.

Dès la première seconde où il est entré dans sa peau de “rol”4 - d’apprenti des burons - Benoît n’a eu de cesse de montrer qu’il était un homme, un vrai de vrai “montanhier”5, comme son père avant lui, et ses grands-pères, et ses frères aînés. Un dur à la tâche, capable de tenir sa place dans la “còla”6, la petite équipe menée d’une poigne de fer par le cantalés. Pas une de ces mauviettes qui font “rabas”7, c’est-à-dire qui rendent leur tablier avant la fin de l’estive, se donnant une image de travailleur peu fiable qui les poursuivra leur existence durant dans le petit monde de la montagne.

Avant de suivre l’équipe par l’échelle de meunier qui mène dans l’unique pièce en terre battue du bas, le gamin soulève discrètement le couvercle de sa malle. Il plonge la main dans la boîte qu’il cache, comme le lui a bien recommandé sa mère, sous la pile des chemises et des tricots. Il en extrait trois ou quatre morceaux de sucre qu’il enfouit aussitôt dans une poche de son pantalon. De quoi l’aider à tenir le coup durant les trois ou quatre heures qui viennent. Car une autre coutume solidement établie commande qu’on aille au parc de traite le ventre vide.

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On peut à la rigueur s’offrir, avant de partir, un verre de “gaspa”8, ce petit-lait tenu en réserve pour la consommation des hommes dans un pot en grès recouvert d’une lauze, sur quelque niche ou étagère du masuc. Pour le déjeuner – des tranches de pain tassées dans le “tarron”9, le traditionnel bol de grande capacité du buronnier, mouillées de lait à volonté et agrémenté de tartines de beurre, il faudra attendre le retour du parc, sur le coup de six ou sept heures (du soleil).
Mais ce matin le petit manège de Benoît n’a pas échappé à Joseph Boyer, le cantalés. Ou alors celui-ci s’est-il particulièrement levé du pied gauche. Toujours est-il qu’il apostrophe vertement le rol, lui signfiant à peu près en ces termes dans la langue occitane qui a exclusivement cours au masuc :

-"À la montagne, c’est pas la mode de manger du sucre. J’ai été rol avant toi. Et je m’en suis passé, de sucre !"

Attrape ! Le galapiat n’en poursuivra pas moins comme devant son rite quotidien du sucre .

"L’école... je pouvais pas bien l’aimer..."

C’est avec un recul de quelque quatre-vingts années que Benoît Falq – nous ouvre aujourd’hui sa boîte aux souvenirs de ce rude temps-là. À chaque instant il assaisonne son récit d’un grand rire joyeux.
Pour l’austère cantalés de ses débuts, il est plein d’une affectueuse indulgence :

"Il s’appelait Joseph Boyer et il était originaire du village voisin de Vieurals. Mais on ne le connaissait que par son escais, ou plutôt celui de sa famille : “Lo Talhuret”10. Il avait été à la montagne toute sa vie, de l’âge de dix ans jusqu’à ce qu’il se marie, vers la quarantaine. Alors, les gosses, il ne connaissait pas trop. Et, au premier abord, il n’était très familier. Mais c’était un brave homme. Et quel cantalés ! Avec lui, vous appreniez le métier !"

Accroché aux premières pentes de l’Aubrac, sur la commune d’Aurelle-Verlac, à une petite dizaine de kilomètres au-dessus de Saint-Geniez d’Olt, le hameau des Mazes domine la vallée sauvage du Merdançon. Benoît Falq y a vu le jour le 10 novembre 1924. Et il n’a jamais quitté la maison natale... autant que...

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