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Saint-Antonin-Noble-Val un musée à ciel ouvert épisode II

Histoire.

Saint-Antonin-Noble-Val un musée à ciel ouvert épisode II
Dans la rue de l’église Modillon représentant sainte Marguerite.

Dans le précédent épisode, nous avons évoqué le poème de Raimon Jordan intitulé “quan la neus chai e gibron li verjan”. Voici la traduction en français de ce texte rédigé en langue occitane, traduction que nous tirons de l’ouvrage “Saint-Antonin, pages d’histoire” (livre écrit par Robert Latouche et publié en 1926) :
Le catharisme toujours présent
"Quand la neige tombe et que les branches se couvrent de givre, je dois mieux chanter que lorsque la fleur s’épanouit, car l’amour dans lequel je cherche mon bonheur me prend mon découragement et me rend joyeux et fier par le seul espoir d’une joie qui me soutient.
Mais peu s’en faut que je n’aie cessé de chanter à cause de la perfide qui me trompa si cruellement ; en faisant cela, elle donna un mauvais exemple aux autres, mais elle a retenu comme sa part la honte et le mal et un blâme à n’en laisser rien aux autres.
Pour cela je la laisse et je retire ma promesse ; elle n’a aucune part en moi ni aucun droit sur moi, je ne lui dois rien, car je donne et je promets mon cœur à une plus noble, et s’il lui plaît de me prendre sous ses ordres, l’Amour me donnera bien la compensation que cherche mon cœur.
Mais la belle ne connaît pas mon désir, car je n’ose le lui dire, et je ne le lui ai jamais découvert. Mais qu’elle sache bien que son serviteur mourra, si elle n’a pas pitié de moi et qu’elle ne m’accorde pas mon désir ; qu’il ne lui soit pas désagréable que je dise tout cela.
Si je me vais réconfortant de son amour, c’est qu’elle n’a pas le cœur changeant ni vil, et je crois que j’atteindrai mon but, car un homme pauvre se met tellement en peine qu’il peut demander une bonne récompense en servant fidèlement son maître.
Et je la servirai désormais quoi qu’il m’arrive, et je serai fidèle et sans perfidie à son égard, plus qu’Hélène ne le fut pour son frère Hector, et qu’il lui plaise de ne pas dédaigner mon hommage, car Héro n’aima jamais tant Léandre que j’aime ma dame.
Garin, désormais je servirai de bon cœur une dame qui, je le crois, ne me trompe pas, et j’attendrai ma récompense quelle qu’elle soit."
A la lecture de cette poésie, on se rend très vite compte que la dame vénérée par l’auteur n’est pas une dame ordinaire. N’est-ce pas plutôt la religion des Cathares qui se trouve ainsi dissimulée sous le voile d’une belle dame ? N’oublions pas que les troubadours utilisaient couramment la parabole, voire le "langage des oiseaux", pour communiquer leurs messages tout en se mettant à l’abri des foudres d’une Eglise qui, à cette époque, était particulièrement intolérante. D’ailleurs, dans le texte qui nous intéresse, cette même Eglise de Rome est qualifiée de "perfide", Raimon Jordan n’hésitant pas à employer, à son égard, des mots très durs, tels que "honte" et "vil". Il reconnaît aussi avoir été trompé par cette Eglise qui, en cette fin de XIIe siècle, ne respecte plus dutout la parole du Christ, préférant vivre sur le dos du pauvre peuple plutôt que de lui venir en aide. Par contre, si Raimon Jordan a choisi d’adopter la croyance des Cathares, pleinement réconforté par leur message d’amour, il avoue ne pas pouvoir afficher ouvertement sa foi nouvelle (sans doute à cause de sa position) : "Mais la belle ne connaît pas mon désir, car je n’ose le lui dire, et je ne le lui ai jamais découvert". Néanmoins, il servira la religion des Bons Chrétiens quoi qu’il puisse lui arriver, car il sait, au plus profond de son âme, que le message d’espoir délivré par les Cathares lui apportera le salut ("son serviteur mourra si elle n’a pas pitié de moi"). N’ayant plus rien à attendre de l’Eglise de Rome, qui n’a aucun droit sur lui et à laquelle il ne doit rien, il espère maintenant sa récompense d’une plus noble dame : la religion cathare.
Promenade découverte de la ville
Nous en venons maintenant à la visite proprement dite de la cité de Saint-Antonin qui donne au visiteur l’impression de se retrouver plongé au cœur même du Moyen Age, tant il y a de bâtiments de cette époque encore debout dans la vieille cité. Cette sensation de "retour vers le passé" est encore renforcée par la présence de rues étroites et autres passages couverts. Seul bémol, l’église primitive a disparu (détruite, comme nous l’avons vu, au XVIe siècle) pour laisser la place à un édifice néo-gothique du XIXe siècle. Malgré la présence de quelques belles sculptures, notamment ce tympan ouvragé rappelant l’arrivée miraculeuse, sur une barque, des reliques de Saint Antonin, nous ne nous attarderons pas à décrire ce monument, préférant nous concentrer sur tous ces vestiges d’origine médiévale.
Nos pas nous entraînent, tout d’abord, dans la rue de l’Eglise où nous avons la surprise de découvrir un grand modillon roman remployé dans la façade d’une maison du début du XXe siècle et disposé juste au-dessus du linteau de la porte d’entrée. Ce modillon, provenant vraisemblablement de l’ancienne église, représente Sainte Marguerite s’extrayant des mâchoires d’un dragon (dans l’art héraldique, Marguerite serait désignée sous le terme d’“issant”, provenant du vieux français "isser" que l’on peut traduire par "sortir"). Cette sainte, née à Antioche de Pisidie (ancienne ville de Turquie), est réputée avoir vécu à la fin du IIIe siècle et au tout début du IVe siècle. S’étant convertie au Christianisme, elle fit également vœu de chasteté, ce qui l’amena à repousser les avances du gouverneur romain Olybrius. Peu après, elle eut le malheur de se faire avaler par un dragon. Elle trouva néanmoins le moyen de s’extirper de cette position pour le moins délicate en perçant le ventre du monstre à l’aide d’une croix. Mais loin d’en avoir fini avec les épreuves, Olybrius la fit martyriser et, finalement, décapiter. A noter que la tradition populaire fit d’elle la protectrice des femmes enceintes. Interprété sous l’angle symbolique, l’épisode de Marguerite sortant de la gueule du dragon est fort intéressant. Car le dragon, c’est la vouivre, cette énergie tellurique que l’initié devra maîtriser après avoir séjourné dans les entrailles de la terre (une grotte, par exemple), à l’instar de Jonas qui fut littéralement transfiguré suite aux trois jours passés dans le ventre de la baleine. D’un point de vue alchimique, le dragon est aussi le symbole de la "materia prima" (la matière première). De sorte que Marguerite apparaît comme étant la pierre philosophale issue de cette matière de couleur originellement sombre (elle est cette lumière extraite des ténèbres). 
Toujours à proximité de l’église, se trouve la place de Payrols. Au débouché d’une petite rue donnant sur cette place, on peut admirer, au sommet du premier étage d’une maison dont le dernier niveau est à colombages, deux modillons représentant respectivement un chat et un chien (sculptés de façon relativement caricaturale : le chat porte de longues moustaches, et le chien tient dans sa gueule un très gros os). Sont-ce là de simples éléments décoratifs ? Gageons que non, vu l’important symbolisme véhiculé par ces deux animaux. En effet, le chat et le chien sont deux figures hermétiques renvoyant une nouvelle fois à l’Art Royal (autre nom donné à l’Alchimie). Par son côté féminin, associé à la lune, le chat représente le mercure des philosophes. En outre, selon Fulcanelli (célèbre adepte de l’Art Royal qu’on ne présente plus), les moustaches du chat, par leur forme en X, évoquent un mystérieux arcane, celui du feu secret. A l’opposé de ce félin vénéré dans l’Egypte antique, le chien affiche un aspect masculin et symbolise, par conséquent, le soufre philosophique. Mais le jour où l’alchimiste parviendra à unir ces deux natures antinomiques, il arrivera au terme de son labeur en réalisant le Grand Œuvre.
Nous poursuivons notre cheminement dans la vieille ville pour nous retrouver dans la rue Guilhem Peyre. En ce lieu, s’offrent à notre vue quelques belles demeures, dont une présentant une façade du XIIe siècle qui subit d’importants remaniements au cours du XVe. Toutefois, c’est une porte, située dans la même rue, qui attire plus particulièrement notre attention. Celle-ci, remontant au XVe siècle, présente un linteau en accolade venant s’appuyer sur deux têtes humaines, malheureusement fort endommagées. Par contre, l’écusson central n’a en rien souffert des affres du temps et exhibe toujours ces deux monogrammes (celui du Christ et celui de la Vierge Marie) entrelacés de la façon la plus élégante.
Au sortir de la rue Guilhem Peyre, nous débouchons sur la place de la Halle où nous attend très certainement le plus bel édifice de Saint-Antonin : la “maison romane”, autrement connue sous le nom de “Palais du vicomte Archambaud”. Cet édifice du XIIe siècle, dont la construction débuta vers 1120 — 1125, est réputé être le plus ancien bâtiment civil de France, ayant servi, sans discontinuer, de maison commune à partir du 22 mars 1313 (date de son acquisition par les consuls de Saint-Antonin) jusqu’à la Révolution. Au XIXe siècle, ce bâtiment, alors passablement délabré, fut restauré, entre 1846 et 1851, par le célèbre Viollet-le-Duc. Du reste, c’est à ce dernier que nous devons la fameuse tour inspirée de l’architecture toscane (surmontée d’un campanile florentin). Par contre, le corps de bâtiment principal n’a pas changé depuis quelque 900 ans et nous pouvons encore y voir, au rez-de-chaussée, trois arcades autrefois occupées par des boutiques. Au premier, prend place une grande salle où les vicomtes rendaient naguère la justice. Quant au deuxième étage, celui-ci était entièrement consacré à l’habitation. La particularité de cet immeuble réside assurément dans cette magnifique galerie en claire-voie, divisée en trois baies par deux piliers admirablement sculptés. Les neuf colonnes des baies sont surmontées de chapiteaux dont les corbeilles ne sont pas moins remarquables. Dans un prochain épisode, nous procéderons à la description et à l'analyse de ces sculptures.
À suivre...

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