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Histoire. Le clergé de Saint-Côme sous l’Ancien Régime 1

Pays d'Espalion. Aperçu de l'histoire du clergé à Saint-Côme, dont l'organisation était l'une des plus importante du Haut-Rouergue

Histoire. Le clergé de Saint-Côme sous l’Ancien Régime<sup> 1</sup> 
Le clocher tors de l’église de Saint-Côme et le château des seigneurs de Calmont.

L’organisation du clergé

Au milieu du XVIe siècle, l’église de Saint-Côme, comme beaucoup d’autres en Rouergue, abritait un clergé pléthorique mais fortement hiérarchisé. A sa tête, un prieur, chef administratif de la paroisse. Il prélevait la plus grande partie des revenus et devait en contrepartie s’occuper de l’église : faire les réparations nécessaires, acheter les ornements destinés au culte, pourvoir à la nourriture des pauvres et assurer l’entretien du curé. Les prieurs pouvaient habiter bien en dehors de la paroisse qu’ils administraient.

La place était recherchée par les évêques, parfois éloignés de Saint-Côme. Avant la Révolution un prieur percevait annuellement 4.000 livres. Il tirait principalement ses revenus de la dîme, dont le recouvrement était assuré par des fermiers.
Le curé assurait le service spirituel, secondé par des vicaires, perpétuels ou amovibles, auxquels s’ajoutaient un ensemble de prêtres obituaires, ainsi nommés car ils étaient chargés des messes de mort ou de requiem.

Tout ce clergé était regroupé en Communautés, Universités, Consorces, Fraternités, ce dernier terme étant le plus souvent utilisé en Rouergue. Le fonctionnement d’une fraternité reposait sur deux hommes : le syndic et le sacristain. Au XVIIe siècle on voit souvent apparaître un procureur associé au syndic, mais il semble que par la suite le second ait rempli les deux rôles. Toutes ces personnes avaient été élues. Au début du XVIIe siècle, la fraternité de Saint-Côme comptait 66 prêtres pour une population de 850 habitants, soit environ un prêtre pour huit habitants. Pourquoi un si grand nombre de prêtres ?

L’origine du développement des communautés religieuses

La résurgence de la notion de purgatoire, reconnu comme une vérité dogmatique par le quatrième concile de Latran, en 1215, est à l’origine du développement des prêtres obituaires. L’église romaine, s’appuyant sur l’Histoire sainte et sur la tradition des Pères, plus particulièrement saint Augustin, avait rappelé qu’au ciel et à l’enfer s’ajoutaient les limbes 2 et le purgatoire.
Littré donne une définition de ce dernier : «Le purgatoire est un état dans lequel les âmes des justes, sorties de ce monde sans avoir suffisamment satisfait à la justice divine pour leurs fautes, achèvent de les expier avant d’être admises à jouir du bonheur éternel».
Mais l’Église ne disait rien sur le temps qu’on pouvait passer au purgatoire. Elle insistait sur les possibilités qu’avaient les vivants de soulager les âmes qui y étaient avec des messes et des prières. Les effets terrifiants de la peste et des maladies contagieuses ramenées d’Orient par les croisés accélérèrent le phénomène. Il s’en suivit une sorte de psychose collective concrétisée par une forte demande de messes, dites de fondation, à partir du XIIIe siècle.

Les messes de fondation

Les messes de fondation se présentaient sous deux formes : les chapellenies et les obits.
Dans le cas des premières le fondateur, désireux d’assurer après sa mort le repos de son âme et de mettre sous la protection de Dieu la mémoire de sa famille, crée un service funèbre qui devra être célébré à perpétuité par un prêtre et dans un lieu déterminé, généralement une chapelle. Le desservant doit être agréé par l’évêque du diocèse. Il contracte l’obligation de célébrer tous les ans une ou plusieurs messes et reçoit en compensation une pension annuelle en argent ou en denrées, assignée sur un bien foncier. Il ne peut en être dépouillé tant qu’il assure ses fonctions. Ces chapellenies coûtaient cher. Les premières furent le fait des familles nobles et puissantes qui pouvaient se permettre ce genre de dépenses. Par la suite la haute bourgeoisie créa les siennes. Le mouvement toucha plus tardivement les campagnes.
Les obits diffèrent des chapellenies en ce sens que si l’intéressé s’assure bien à perpétuité le bénéfice des messes qu’il désire il ne s’adresse pas à un prêtre particulier et n’a pas besoin de l’aval de l’évêque. Il contactera une fraternité de prêtres qui s’engagera à dire ces messes jusqu’à la fin des temps. Le coût des obits était très inférieur à celui des chapellenies.
A celles-ci et aux obits vont s’ajouter les messes de funérailles. La grand-messe du jour de l’enterrement pouvait être suivie d’une neuvaine (huit messes basses et une chantée) et une dernière dite du bout de l’an, un an après au jour anniversaire de la mort. Pour les plus fortunés, à la neuvaine pouvait s’ajouter un trentenier soit trente messes. Ainsi, une seule sépulture pouvait engendrer un nombre de messes compris entre 11 et 41. Pour assurer tous ces services funéraires l’Eglise avait créé une corporation de prêtres dits obituaires. Ils étaient chargés des messes de mort ou de requiem. L’Église ne les rétribuait pas et ils tiraient la majeure partie de leurs revenus des services funèbres.

Les prêtres obituaires

Comment devenait-on prêtre obituaire ? Le premier degré vers les ordres mineurs était acquis avec la tonsure. Un garçon pouvait l’obtenir dès l’âge de sept ans, s’il était de naissance légitime. On s’assurait qu’il connaissait le Credo et le décalogue et qu’il savait chanter en latin. Les enfants de chœur, familiarisés avec les commandements de Dieu et de l’Église et qui connaissaient les prières en latin, étaient souvent aptes à remplir ces conditions et pouvaient recevoir la tonsure. Pour effectuer celle-ci l’évêque leur coupait simplement une petite mèche de cheveux. Cette première opération leur conférait le titre de clerc et ouvrait la voie de la prêtrise. L’historien G. Audisio rapporte 3 une cérémonie de ce type : «le 5 septembre 1446, après la visite pastorale de la paroisse, l’évêque de Rodez donnait la tonsure à 56 personnes à la croix del Mazet, à Réquista, puis il descendait à huit kilomètres au bord du Tarn, visiter Lincou, y donner 29 tonsures au bord de l’eau. Il remontait ensuite coucher à Réquista, en ayant auparavant tonsuré à nouveau 43 personnes dans la rue, devant la maison de son hôte». Au total, 128 tonsures en une journée… Si les sujets étaient brillants et avaient un niveau suffisant, ils pouvaient acquérir par la suite le statut de bénéficiaires et étaient alors rétribués par l’église. C’était entre autres le cas des curés et des vicaires, par exemple. Pour tous ceux qui n’étaient pas bénéficiaires, l’Église exigeait que celui qui ordonnait un clerc fût également tenu de lui fournir sa subsistance, ou du moins s’assurer qu’elle lui était garantie. Ceci fut confirmé par la suite avec un décret du concile de Trente qui stipulait qu’aucun séculier ne pouvait être promu aux saints ordres sans un bénéfice suffisant. Pour pouvoir être ordonné, il fallait donc apporter la preuve de la possession d’un bénéfice ou d’un patrimoine, auxquels se trouvait associée, depuis le XIIe siècle, une pension. Par ces conditions, l’Église voulait que ses serviteurs puissent mener une vie digne et éviter la formation d’un prolétariat ecclésiastique.
Le franchissement de l’obstacle du titre clérical était le plus souvent une affaire familiale. Quand un jeune homme se trouvait en état de prendre les ordres sacrés 4, ses parents réunissaient chez un notaire le curé de la paroisse et quelques témoins pour assister à la constitution du titre clérical. L’acte une fois passé, les témoins délivraient au futur lévite un certificat constatant que les immeubles à lui assignés en étaient «bons et en bon bien, et de valeur et revenu suffisant pour donner à vivre à un prêtre honnêtement et sobrement comme l’état de prêtre le comporte». Ce revenu était de 10 livres 5 en 1507 et de 25 en 1560. Les témoins attestaient de plus par le même acte que «le sujet était de bonnes mœurs et d’honnête conversation… et en outre capable d’exercer le divin office de prêtre».
La foi et la vocation devaient guider les jeunes gens vers l’église, certainement, mais au-delà également. Ils avaient la certitude d’assurer leur lendemain. Être prêtre, cela signifiait à l’époque jouir de la considération générale et également pouvoir manger à sa faim, avoir un toit et des vêtements. Ce qui est estimé aujourd’hui comme un minimum vital était alors un luxe. De plus, pour ceux qui avaient de l’ambition et les capacités d’atteindre leur but, l’église représentait un moyen de s’élever dans l’échelle sociale. N’oublions pas non plus que le catholicisme était religion d’État. Appartenir au corps ecclésiastique pouvait ouvrir bien des portes en dehors de l’Église. Tout cela explique pourquoi la fonction de prêtre obituaire était tant prisée, même si elle ne constituait qu’un des tout premiers échelons de la hiérarchie. La demande sera telle que les communautés n’accepteront dans un premier temps que les jeunes nés et baptisés sur les fonts de la paroisse (de là viendra le nom de prêtres filleuls qu’on leur donnait parfois). Par la suite, il leur faudra prouver, dans certains cas, que leurs parents remplissaient également ces conditions.

Le niveau d’instruction des prêtres obituaires

On a beaucoup parlé, au XVIe siècle et avant, du manque d’instruction des prêtres obituaires 6. Nombre d’entre eux ne savaient alors ni lire ni écrire. Il est vrai que les écoles étaient relativement peu nombreuses à cette époque. Le concile de Trente avait réagi fortement contre l’ignorance des prêtres et ordonné l’ouverture de centres de formation dans tout le royaume. Mais les prescriptions de l’ordonnance de Blois de 1579 ne furent pas appliquées en Rouergue. Les petits séminaires de Laguiole et de Saint-Geniez ne seront fondés que postérieurement et le grand séminaire de Rodez en 1677.
Dans leur ensemble les nouvelles fraternités vont avoir un niveau intellectuel supérieur à celui des précédentes. La masse de documents qu’elles nous ont transmise le prouve. Les registres sont bien tenus, bien écrits, les comptes clairs. Mais nombre de brebis galeuses qui figuraient encore dans leurs rangs en 1747 disparaîtront après que, sur ordre de l’évêché, un état appréciatif des ecclésiastiques 7 du diocèse aura été dressé par un ensemble de vicaires forains.

La gestion des messes de fondation

Comment établissait-on une fondation ? Le plus souvent, le fondateur demandait une messe basse hebdomadaire à perpétuité, célébrée sur l’autel de la chapelle de la Vierge. Objet de la célébration : en l’honneur de la Vierge, de l’ange gardien du défunt parfois, pour le repos de l’âme du défunt, de ses prédécesseurs, voire de ses successeurs la plupart du temps. Le financement se faisait à partir des revenus d’un capital que le fondateur confiait à la fraternité. Celle-ci jouait alors le rôle d’un banquier en plaçant l’argent.
Au XVIIe siècle, le taux de prêt est invariablement au denier 20 8 (1 sol pour une livre), c’est-à-dire 5%, et semble avoir conservé cette valeur jusqu’à la veille de la Révolution. Il peut arriver aussi que le fondateur ait des débiteurs. Dans ce cas, il charge alors les prêtres de récupérer son dû.
Dans d’autres cas, plus rares, il donne les revenus d’un terrain qui sera hypothéqué. Certaines terres conservent le souvenir de ce genre de tractation : La Luminaire, Le Champ du Prieur. L’obit était alors attaché aux terres. Lorsque celles-ci étaient revendues, l’acheteur restait débiteur de la fraternité. Ce type d’obligation fut souvent l’objet de litiges 9 par la suite car plusieurs siècles après la fondation le vendeur qui avait hérité d’un terrain ne savait pas nécessairement que celui-ci était hypothéqué. Mais les prêtres, eux, s’en souvenaient. Leurs cahiers étaient là pour le prouver.
Le prix des messes était fixé à la date de la fondation. La fraternité des prêtres s’engageait à respecter les desiderata du fondateur et en particulier à faire célébrer les dites messes ad vitam aeternam, sans restriction aucune. Mais c’était compter sans l’inflation. Une messe basse qui s’élevait à 1 sol en 1577 10 passait à 5 sols un siècle plus tard, puis à 13 sols en 1734 et 20 sols en 1762. Les revenus ne suffisant plus pour assurer l’intégralité des messes, on eut recours à des subterfuges.
Dans certains cas, les fondations se virent regroupées, une même célébration servant pour plusieurs défunts. On utilisa aussi les réductions. Gabriel de Voyer de Paulmy autorisa 11 les prêtres à réduire le service des fondations au prorata du revenu des obits. C’est ainsi que la fondation de Catherine Remise 12, établie le 10 octobre 1734 pour des messes à l’aube d’un montant de 13 sols vit l’honoraire de chacune passer à 20 sols le 26 octobre 1762, suite à une autorisation signée du vicaire général Mathal.
Tous ces changements entraînèrent bien sûr de la part des fidèles de nombreuses récriminations et discréditèrent quelque peu l’institution.

La récupération des obits

Pour recouvrer les obits le syndic de la fraternité établissait des billets, tous d’un montant égal, ici environ 27 livres tournois (lt) pour l’année 1719. Les sommes variaient chaque année : 33 lt en 1675, pour 13 prêtres, 60 lt en 1757 pour 11 prêtres. Ceux-ci étaient chargés de récupérer l’argent auprès des donateurs. Ils pouvaient se rendre chez eux ou les rencontrer dans les grandes foires. En 1719 ils étaient seize. Leur nombre pouvait varier au cours du temps, ainsi que le montant des billets. N’oublions pas que les prêtres obituaires n’étaient pas rétribués par l’église.
Nous donnons ici un exemple du début de l’un de ces billets, vieux de 300 ans. Tous ces billets étaient réactualisés chaque année. Ils commençaient invariablement par quelques lignes de ce type :
Contrôle des billets des obits dûs à la fraternité des Mrs. prêtres de la paroisse de St Côme pendant l’année 1719 tirés au sort et signés par chacun d’eux au nombre de seize comme ils leur sont échus dans la sacristie de la grande église dudit St Côme le 12 juin de la susdite année, étant syndic Pierre Lacroix, prêtre.
Comment se présentaient les billets en 1719 ? Ils étaient numérotés de 1B à 16B. Chacun donnait la liste des redevables et en face de leurs noms la somme due. Au bas de chaque billet figurait le total des obits à encaisser et le nom du prêtre chargé de recouvrer la somme.

Le gain annuel des prêtres obituaires

Mais que pouvait gagner annuellement un prêtre obituaire ?
On peut en avoir une idée à partir d’un relevé de casuel 13, à Saint-Côme. Par exemple 14, en 1702, la présence à une messe de bout d’an rapporte un droit de clerc et de diacre de 4 sols ; une messe de neuvaine : 5 sols ; un droit de clerc lors d’épousailles : 4 sols ; droit de clerc d’un baptême : 2 sols ; une sépulture : 2 sols ; rétribution d’une messe à l’honneur du Saint Esprit : 4 sols ; rétribution d’une messe à l’honneur de Notre Dame du Bon Secours : 4 sols ; présence à une messe de mort : 3 sols ; une messe pour une accouchée (messe de relevailles) : 4 sols ; une présence de droit pour la messe des maçons (ou des tisserands) : 3 sols, etc. S’ajoutait le produit des offrandes en nature apportées par les paroissiens : celle du jour de la fête des morts étaient revendues pour faire dire des messes de requiem. En période de carême curé et vicaires recevaient lait, beurre et œufs, mais nous ne savons pas s’il en était de même pour les prêtres obituaires.
A la veille de la Révolution, les fraternisants se partageaient 1.454 livres d’obits. Si on estime leur nombre alors à sept, chacun d’entre eux devait percevoir un peu plus de 200 livres. Ajoutées aux diverses prestations énumérées ci-dessus, cela devait représenter un revenu honorable.
Nous donnons ici, à titre indicatif, quelques prix sous l’ancien régime. Un cochon de lait : 2 livres 10 sols ; un lapin : 12 sols ; un œuf : 14 deniers ; une oie : 22 sols ; le beurre : 10 sols la livre.
Mais le recouvrement des obits n’était pas toujours chose facile et les prêtres obituaires se voyaient de plus en plus critiqués par leur hiérarchie. Dans son ouvrage «le Rouergue flamboyant» 15 Nicole Lemaître écrit :… «ce qui intéresse les gouvernants du diocèse, c’est que les prêtres ne vivent pas comme les laïcs et soient les pasteurs des brebis plutôt que leurs banquiers. Or les prêtres filleuls ne sont pas cela. Ils sont trop indépendants de la hiérarchie. Ils n’ont pas besoin de contrôle épiscopal pour obtenir leur place, aussi n’hésitent-ils pas à aller se faire ordonner sans passer sous les fourches caudines ruthénoises… Ils sont trop décontractés dans leur allure et prononcent les prières de l’office et de la messe par routine, bref, ils ne correspondent pas à l’idéal épiscopal».
Dans la première moitié du XVIIIe siècle les relations de la population avec certains prêtres obituaires de la fraternité vont se détériorer. Tous les moyens sont utilisés pour assigner devant la justice les récalcitrants qui refusent de payer des dettes qui datent parfois de plusieurs siècles. Très souvent il s’agit d’obits attachés à des terrains vendus et revendus. Ils concernent des défunts qui n’ont aucun lien avec le dernier acheteur et, bien entendu, celui-ci ne veut pas payer.
En 1747, sur ordre de l’évêché un état des ecclésiastiques est dressé par un ensemble de vicaires forains. «Près du tiers des fraternisants fait l’objet d’une mauvaise appréciation, contre un sur huit dans le clergé paroissial» rappelle Nicole Lemaître. En 1750 les brebis galeuses seront éliminées et la demande d’obits va baisser d’une manière drastique.
Après 1789 les prêtres obituaires sont toujours là et se battent de plus en plus pour conserver le bénéfice de leurs obits. A partir de 1791 on n’en finit pas de compter les procès qui les opposent à leurs paroissiens pour défaut de paiement.
En 1793, Antoine Durand, un cultivateur du village d’Artigues fait valoir la raison de son refus de payer. Il expose que les prêtres ne sont pas en nombre suffisant pour dire et acquitter toutes les fondations du lieu… et que par ailleurs ils sont salariés par la nation et que les recettes obituaires appartiennent par conséquent à la nation. Cet argument sera repris par d’autres paroissiens mais tombera l’année suivante, le 18 septembre 1794 (2e jour complémentaire de l’an II). Un décret de la Convention supprimera alors le paiement des prêtres et les frais d’entretien des bâtiments religieux.
Néanmoins, les comptes-rendus de la justice de paix des dix années suivantes ne contenaient plus d’assignation en justice concernant les rentes obituaires antérieures à 1791.
De tout façon, l’extinction progressive du corps des prêtres obituaires ne pouvait qu’entraîner la disparition des messes fondées des décennies et des siècles auparavant.

L’exemple d’une chapellenie célèbre : celle de Marguerite de Villemur

Marguerite de Villemur était la femme d’Alexandre de Castelnau, baron de Calmont. Elle descendait d’une famille célèbre qui comptait parmi ses membres un nommé Jacques Dueze qui devint, en 1312, le pape Jean XXII.
Le 13 janvier 1389 elle crée une chapellenie en l’honneur du Sacré Corps de Jésus Christ déserviable par les messieurs prêtres de Saint-Côme dans la chapelle que son mari et elle-même avaient faite bâtir dans l’église dudit Saint-Côme. Pour assurer le fonctionnement de cette fondation elle lègue, dans son testament, au recteur et aux prêtres de Saint-Côme la somme de cinquante livres tournois de rentes foncières avec droits de lods et justice jusqu’à soixante sols que son mari levait habituellement sur les villages de La Bastide, La Passe, Auriech, Aunac, Ruols, Le Pouget, Les Orts et Salgues. Trois ans après sa mort son mari, héritier universel, sera chargé de l’exécution de son testament. Sa femme lui avait laissé le choix entre le legs annuel de cinquante livres ou un legs unique de deux mille florins d’or 16. Le baron opta pour la première solution : elle sera par la suite la cause de nombreux conflits. Près de quatre siècles après sa création cette chapellenie existait toujours et posait encore des problèmes…
On ne compte plus les procès qui opposèrent les prêtres obituaires à leurs créanciers.

 

 

Le fonctionnement de la chapellenie


Pour le fonctionnement de sa chapellenie Marguerite de Villemur avait imposé dans son testament un certain nombre de règles très strictes. Nous citons ci-dessous ses desiderata.
«Primo veux que l’un des prêtres dise la messe à ladite chapelle chaque jour de la semaine à l’heure de l’aube à savoir le dimanche de l’office du jour, le lundi des morts, le mardi du Saint Esprit, le mercredi de St Antoine abbé, le jeudi du précieux Corps de Jésus Christ, le vendredi de la Sainte Croix et le samedi de Notre Dame. Veux que ladite chapelle soit desservie par semaines entières et que quand tous seront passés on recommence chacun par ordre.
Plus veux que celui dira la dite messe tous les jours après avoir quitté la chapelle, à moins qu’il n’aime mieux se tourner vers le peuple, absolve les morts avec l’eau bénite, que chaque lundi veux que tous les prêtres revêtus de leurs surplis s’assemblent en ladite chapelle avec l’eau bénite et la croix solennellement et chantent ce répons : libera me Domine de morte avec l’oraison convenable.
Plus veux que tous les ans la veille que doit se faire son anniversaire tous les dits prêtres s’assemblent en ladite église à l’heure des vêpres et y disent l’office des morts tout entier en chants et que ledit jour de l’anniversaire tous disent la messe pour le repos de son âme… et qu’ils disent aussi une messe grande en note solennelle et qu’après ladite messe ils aillent à ladite chapelle avec l’eau bénite et la croix et là chanteront trois répons des morts scavoir subvonita… dei, creda quad redomption et libera me domino, avec les oraisons convenables et fassent les vêpres tout ainsi comme si son corps était présent.
Et qu’ils en fassent de même le jour de l’anniversaire de son mari au moins ? que lesdits jours... car dans ce cas-là ils le fairont le lendemain ou le tiers jour ; et veux aussi que les prêtres qui serviront ladite chapelle soient de bonne vie et mœurs et chantent Dieu liva et cantere et qu’ils assistent à toutes les heures canoniales qui se chantent en notte dans notre église et en cas n’y assisterons veux que soient pointés et perdent quatre deniers».

 

 

Les aléas d’une fondation


Les prêtres de Saint-Côme eurent un certain nombre de problèmes avec la fondation de Mme de Villemur. D’une part avec les paysans qui devaient payer les cens, mais aussi avec les successeurs du baron de Calmont et avec la marquise de Malauze, dame Marie Françoise de Bérangé de Monmaton, seigneuresse de la châtellenie de Saint-Côme (1663-1738).
Cette dame avait épousé, en 1693, Gui-Henri de Bourbon, marquis de Malauze, colonel du régiment de Rouergue. Les Malauze descendaient d’un bâtard du Connétable Jean II de Bourbon qui délivra la Guyenne des Anglais.
Aussi la seigneuresse était-elle très fière d’être, par alliance, une Bourbon. A la mort de son mari, en 1706, elle s’installa à Saint-Côme, sur le fief que sa mère avait reçu en dot de mariage. Elle occupait le château de Saint-Côme, ancienne résidence des seigneurs de Calmont et de leur descendance. C’était une personne arrogante, peu aimée de ses vassaux. Elle affirmait sa puissance en se déplaçant dans son carrosse, un des trois qui existaient en Rouergue à cette époque, ou sur une litière portée par trois valets. Son pouvoir était grand et on disait d’elle : «elle peut et elle ose».
A la suite d’on ne sait quelle histoire, elle entra en conflit avec les prêtres de Saint-Côme.
Le 21 juin 1719, elle envoyait aux vicaires généraux de l’évêché de Rodez une lettre incendiaire, accusant les prêtres de Saint-Côme d’avoir prélevé cent dix cestiers de seigle sur les bons fiefs de la châtellenie mais, dans le même temps, d’avoir négligé le service dont ils étaient chargés par la dite fondation. A savoir, qu’ils étaient tenus de dire la messe vêtus de leur surplis et chanter en notte dans la chapelle et que tout manquement serait sanctionné par une amende de 4 deniers tournois. Elle reprochait aussi aux prêtres de ne pas satisfaire aux charges portées par la fondation précisant «qu’il était notoire que la plus grande partie des prêtres s’absentaient de Saint-Côme tous les jours de fête et les dimanches». Elle enfonçait le clou à la fin de sa lettre, demandant que «les sieurs prêtres de St. Cosme assistent à la messe qu’ils sont obligés de dire journellement, vêtus de leur surplis et qu’ils assistent aussi à toutes les autres messes aux heures canoniales qui se célébreront et se chanteront en notte dans l’église et que, en défaut par eux d’y satisfaire, ils perdront chaque fois dix sols chacun…». Elle demandait enfin que la présente requête soit envoyée au sieur curé ou au syndic de la fraternité.
Sa lettre faisait moins de 2 pages. Le curé Jean Mauzabel, le syndic Pierre Lacroix et les autres prêtres fraternisants de St-Côme répondirent par un texte de 7 pages. Exposant tout d’abord les termes de la fondation, ils rappelaient qu’ils en avaient toujours respecté les obligations et que la marquise de Malauze avait été mal informée par quelques personnes mal intentionnées contre les dits prêtres. Ils rappelaient que la messe de fondation étant basse l’assistance des autres prêtres en surplis serait inutile. Chacun d’entre eux devait dire la messe à son tour.
Ils s’élevaient aussi contre l’amende de 10 sols réclamée par Mme de Malauze, au lieu des 4 deniers, rappelant que leurs autres obits rapportaient à peine à chacun d’entre eux annuellement une vingtaine de livres.
Ils terminaient leur requête en réclamant d’être déchargés de l’assistance en surplis à la messe basse qui se dit quotidiennement. De plus, ils demandaient la relaxe pour les accusations dont ils étaient l’objet de la part de Mme de Malauze.
L’affaire en resta là, les vicaires généraux de l’évêché de Rodez ne voulant pas entrer en guerre avec la puissante Mme de Malauze.

 

 

La fin de la fondation


L’abolition de la féodalité, le 4 août 1789, devait porter un coup fatal à la fondation de Mme de Villemur. Mais les prêtres réagirent et leurs avocats essayèrent de trouver des failles dans la loi du 4 août.
Ils estimèrent que l’ancienne fraternité des prêtres de St-Côme était très bien fondée à exiger le paiement des redevances.
Leurs arguments étaient les suivants : ces redevances étaient féodales tant qu’elles furent possédées par le baron de Saint-Côme, seigneur du territoire assujetti. Mais à partir du moment où le seigneur avait aliéné des prestations annuelles au profit de personnes qui n’avaient aucune part à la seigneurie du même terrain, la qualité féodale fut anéantie à l’égard de ces redevances qui pour lors, purement foncières, avaient été arroturées (rendues roturières) par leur séparation de la directe 18 et de tous les autres droits du purement fonciers.
Un procès eut lieu en 1813, contre les censitaires d’Aunac et de La Bastide. Le substitut, M. Daniel fut étonné de la demande des prêtres. Il penchait à voir la rente supprimée. Après avoir balancé le pour et le contre, on s’en remit à la sagesse de la Cour. Mais nous ne savons pas quelle décision fut prise.
En 1829 nouvelle attaque de la fabrique de Saint-Côme, qui succédait à l’ancienne fraternité, contre des censitaires mais cette fois de La Bastide et d’Aunac. L’affaire passa finalement à Montpellier mais les plaignants furent déboutés.
Ainsi prit fin une fondation qui avait duré près de 4 siècles.


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1 Ancien régime : nom sous lequel on désigne l’organisation de la France depuis la disparition du régime féodal (XVe siècle) jusqu’à la Révolution de 1789.
2 La croyance aux Limbes fit longtemps partie de l’enseignement catholique, principalement pour les enfants morts sans baptême. Dans les cimetières ils étaient enterrés à part. Le catéchisme de l’Église Catholique de 1992 n’aborde pratiquement plus la question des Limbes.
3 Gabriel Audisio, Les Français d’hier, tome 2, Paris, 1996, p. 112.
4 Henri Affre, Lettres à mes neveux sur l’histoire de l’arrondissement d’Espalion, Lettre X, Marseille, Laffite Reprints, 1981.
5 La livre tournois se divisait en 20 sols. Le denier était la 12e partie du sol.
6 Henri Affre, op. cit.
7 A.D.A., G 376. (A.D.A. = Archives Départementales Aveyronnaises).
8 Ce taux d’intérêt n’a pas varié au cours des âges, même à la fin du XVIIe, lorsque le gouvernement de Louis XIV empruntait au denier 14 (soit un taux de 7,1%) pour financer les guerres.
9 Note des auteurs : nous avons eu connaissance de litiges de ce genre sur l’Aubrac à la fin du XXe siècle.
10 A.D.A., 5G 222, Compulsoire de douze actes, pour M. le syndic de la consorse des Mrs prêtres de Saint-Chély d’Aubrac contre Jean François Lacaze et Françoise Girou, mariés du village d’Aubiac (1775). Un compulsoire est une copie d’actes notariés établis en vue d’un procès.
11 A.D.A., 5G 224.
12 A.D.A., 5G 222, Fondations de messes 1666-1740.
13 Casuel : ensemble des gains variables s’ajoutant au revenu des obits.
14 Ces exemples sont pris dans le casuel d’un prêtre obituaire nommé Beloil. (A.D.A., 5G 224-37).
15 Nicole Lemaître, « Le Rouergue flamboyant. Le clergé et les fidèles du diocèse de Rodez », Paris, 1988.
16 Au XIVe siècle, le florin d’or dit à la reine valait 16 sols et 6 deniers, ce qui représente un total de 198 deniers. 2.000 florins d’or représentaient 396.000 deniers, ou encore 1.650 livres. Cette somme placée à 3% aurait rapporté annuellement 50 livres.
17 Article de Jacques Poulet publié dans les recueils de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron. Série 25 J.
18 La directe : le territoire relevant d’une seigneurie.

 

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