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Histoire. Emma Calvé, une cantatrice rouergate qui chanta «sous tous les ciels» (épisode III)

Histoire.

Histoire. Emma Calvé, une cantatrice rouergate qui chanta «sous tous les ciels» (épisode III)
Rosine Laborde, professeur de chant, qui apportera à Emma Calvé la maîtrise qui lui manquait.
Dans le précédent épisode, nous avons vu que la cohabitation entre les deux fortes têtes qu’étaient Carvalho et Emma Calvé, était loin d’être évidente. Et même si ces deux-là finiront par mettre de l’eau dans leur vin dans un avenir plus ou moins proche, l’heure de la rupture a sonné, entraînant Emma à partir pour Nice où elle a décroché un contrat avec le Théâtre-Italien. En ce lieu, elle sera amenée à jouer les rôles de Marguerite (dans Faust), Gilda (dans Rigoletto), Leila (dans les Pêcheurs de perles) et Ophélie (dans Hamlet).
N’ayant pas oublié les précieux conseils de Jules Puget, Emma, avant d’interpréter Ophélie, se plongera dans l’œuvre de Shakespeare. A Nice, le succès est encore une fois au rendez-vous. Non seulement la presse locale l’encense : «Mlle Calvé est une étoile qui se lève à l’horizon théâtral», mais encore a-t-elle le bonheur de recevoir les compliments de Charles Gounod en personne : «Quelle voix émouvante mon enfant… Bravo, mille fois bravo ! Je vous prédis une admirable carrière…». Mieux encore, le directeur du théâtre San Carlo de Naples, de passage à Nice, est venu écouter la jeune cantatrice. Conquis par la prestation d’Emma, il lui propose un contrat alléchant, avec une rémunération de 6.000 lires à la clef, qui lui ouvrira les portes des grands opéras italiens : Rome, Naples, Florence et Milan avec sa célèbre «Scala». Il s’agit là d’une occasion inespérée qui apportera à Emma la consécration d’une carrière qui ne fait pourtant que commencer. Mais avant de partir pour l’Italie, Emma et sa mère vont se ressourcer au pays, chez la tante Caylet. Nous sommes au mois de mai 1886, Justin, le père d’Emma, est revenu définitivement en Aveyron pour prendre une retraite bien méritée non loin de La Bastide-Pradines. Bien que lui et son épouse soient toujours fâchés, il accepte de recevoir sa fille qui parvient à le convaincre, en lui montrant des coupures de presse louant la nouvelle diva, du bien-fondé de l’aventure parisienne. Elle va même jusqu’à chanter pour lui, ce qui lui fera dire : «Ma petite fille, les grand-mères, ici, parlaient peu quand elles filaient au coin du feu. Voilà des générations que les femmes, chez nous, font des économies de paroles. Ta voix, Emma, elle est faite de leurs silences».

L’aventure italienne


Au mois de septembre, Emma et sa mère partent pour l’Italie. Bien que les premières représentations ne doivent avoir lieu qu’au mois de décembre, Emma, en grande professionnelle qu’elle est déjà, a préféré devancer l’appel de manière à s’imprégner de l’ambiance et de la culture italiennes, comptant bien, également, acquérir les rudiments de la langue. De passage à Rome, Emma ne manque pas d’inclure dans ses visites la célèbre villa Médicis, somptueuse demeure qui accueille les lauréats du prix de Rome. Là-bas, elle y rencontre un «pays» en la personne de Denys Puech, ce sculpteur de talent, originaire de Bozouls, qui sera d’ailleurs amené à diriger, un temps, la villa Médicis. Arrive enfin, pour Emma, le moment de se produire à la Scala de Milan. Devant un public de connaisseurs mais sans concession, le trac s’empare d’elle juste avant de monter sur scène. Bien entendu, elle a travaillé dur pour ce nouvel opéra — Flora Mirabilis — dont c’est ce soir la première, mais elle redoute d’écorcher cette langue — l’italien — qu’elle ne parvient toujours pas à maîtriser, sans parler de l’état peu satisfaisant de ses cordes vocales qui ont été mises à rude épreuve durant les répétitions. Aussi, à la première montée dans les aigus, une fausse note vient à s’échapper. La sanction ne se fait pas attendre et se manifeste sous la forme de sifflets émanant du poulailler. En proie à la panique, elle quitte précipitamment la scène pour aller s’écrouler, en pleurs, dans les bras de sa mère.

Retour en France


C’en est fini de l’aventure italienne. Emma résilie son contrat et prend le chemin de la France dès le lendemain. Sur le point de tout abandonner, elle trouve cependant du réconfort auprès de Charles Gounod qui l’encourage à persévérer : «Il faut vous remettre à l’étude sévère pendant un an ou deux, afin d’atteindre le chemin de la perfection avant de remettre les pieds sur une scène». Et, ne se contentant pas de ces bonnes paroles, le maître la recommande auprès de Rosine Laborde, ancienne artiste lyrique et professeur de chant, qui saura inculquer à Emma cette patience qui lui manque parfois. Au contact de cette femme qui porte la douceur sur le visage, Emma apprend à se contrôler et à éloigner d’elle tout découragement. Se sentant désormais prête à remonter sur scène, Emma fait son grand retour au Théâtre-Italien de Nice, le 4 janvier 1888, dans le rôle d’Ophélie qu’elle interprétera comme jamais auparavant. C’est le triomphe, au point qu’elle est invitée à renouveler sa formidable prestation au théâtre de la Fenice de Venise. Pour l’occasion, Ambroise Thomas, le compositeur d’Hamlet, a fait le déplacement. A la fin de la représentation, c’est le délire dans la salle, Emma Calvé recueillant, à elle seule, la plupart des lauriers, comme s’en souvint le critique musical du Figaro : «Mlle Calvé conquit ce soir-là son diplôme d’étoile de première grandeur. Merveilleuse de beauté, se maintenant dans la tradition romantique créée par Christine Nilsson, mais rendant le rôle bien personnel par un singulier souci de vérité scénique, préparant dans un sourire des notes d’alouette, puis secouant la salle des vibrations de sa voix passionnée, elle fut, en cette soirée, unique et inimitable».

Le sacre de la diva


Un an et demi plus tard, la voilà de retour en Italie où on l’a convaincue d’interpréter le rôle de Santuzza (une paysanne sicilienne) dans la toute nouvelle œuvre à succès du moment : «Cavalleria rusticana», de Pietro Mascagni. Après un premier passage pour le moins remarqué à la Pergola de Florence, elle est réclamée à Naples où elle touchera 800 lires par représentation. Profitant de son séjour dans la «botte italienne», Emma se rend souvent au Vatican, plus précisément à la Chapelle Sixtine, afin d’y entendre chanter les chœurs. C’est aussi l’occasion pour elle d’y rencontrer Domenico Mustafà, le dernier des castrats, auprès duquel elle va apprendre la technique des sons «flûtés». Pour obtenir ces sons, particulièrement mélodieux dans le registre élevé, elle recueille son secret qui consiste à «travailler la bouche fermée, afin de les caser aussi haut que possible dans le masque». Domenico précisera toutefois à Emma qu’il lui faudra s’exercer à cette technique pendant une bonne dizaine d’années, à raison de deux heures par jour, avant de la maîtriser parfaitement. Mais la studieuse Emma y parviendra bien avant, en seulement trois ans. Enfin, l’aventure italienne s’achève, pour notre diva rouergate, avec la redoutable Scala de Milan qui lui avait été si néfaste quelques années auparavant. Cette fois, elle y joue le rôle d’Ophélie, un personnage qu’elle possède parfaitement. En outre, il n’y a plus le moindre tract chez elle, seulement la volonté d’aller jusqu’au bout de son immense talent. Mais laissons à Emma le soin de nous décrire cette folle soirée milanaise : «J’avais décidé que, si je n’avais pas un succès éclatant, je me jetais par la fenêtre (je n’en avais nulle envie). Oubliant, pour la première fois, voix, théâtre, public, hors de moi, hors du monde, ne me possédant plus, j’ai joué et chanté avec une exaltation croissante comme si c’était la première et la dernière fois de ma vie. A l’acte de la Folie, lorsque je parus en scène, pâle, sans maquillage, démente, déchirant mon voile, arrachant ma couronne de nénuphars, je fus accueillie par de longs bravos… j’attaquai une cadence que je n’avais encore jamais chantée en public, partant des notes de poitrine pour aboutir au contre-fa au-dessus de la portée ! Arrivée à cette hauteur inaccoutumée, j’éprouvai le vertige d’une enfant qui, juchée en haut d’une échelle, ne sait plus comment redescendre. Eperdue, je tins indéfiniment la note jusqu’au bout de mon souffle avant de terminer la gamme chromatique, ce que je fis avec une telle sûreté, un tel brio, qu’un tonnerre d’applaudissements vint m’interrompre. Dès lors, arrivée au paroxysme de l’exaltation, comme en délire, donnant tout ce que j’avais en moi, ne me possédant plus, riant et pleurant, hallucinée, je terminai ma scène au milieu de bravos frénétiques. J’avais atteint un sommet. Telle une somnambule, je me suis réveillée, comme d’un songe». Dès lors, Emma ne connaîtra plus que la gloire, jusqu’à un âge relativement avancé (pour une cantatrice). De retour en France, et malgré sa brouille passée avec Carvalho, Emma renoue avec l’Opéra-Comique. Un dîner organisé par des amis respectifs va effectivement décider de la réconciliation des deux ennemis. On peut également penser que Marie-Caroline Miolan-Carvalho, ancienne cantatrice et épouse du directeur de la salle Favart, ait été pour quelque chose dans l’amélioration des relations entre son mari et Emma pour laquelle elle s’était prise d’amitié. Toujours est-il que Carvalho fait signer un contrat à Emma Calvé aux termes duquel elle s’engage à chanter à l’Opéra-Comique du 1 er décembre 1891 au 15 mai 1892, moyennant une rémunération mensuelle de 8.000 francs, soit une véritable fortune pour l’époque ! Au programme : «Cavalleria rusticana» et «Carmen», de Bizet, dont le rôle principal sera bien entendu tenu par la diva aveyronnaise. Mais, en attendant, c’est Cavalleria rusticana qui est à l’affiche. Pour jouer Santuzza, Emma impose sa volonté de porter, sur scène, un costume quelque peu misérable, afin de mieux coller au personnage qui, ne l’oublions pas, est censé être une pauvre paysanne. A la première de Cavalleria rusticana, ayant eu lieu le 19 janvier 1892, le succès est considérable, au point que l’œuvre de Mascagni doit être jouée quatre jours par semaine. Une telle cadence va cependant avoir raison de la santé de fer d’Emma. Un soir, en pleine représentation, la diva s’effondre dans un escalier du décor, restant évanouie sur le sol. Les médecins obligeront la cantatrice à se reposer deux mois durant, mais, au mois d’avril, la voilà revenue sur les planches pour de nouveaux triomphes…
À suivre…

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